Un retraité juge les régimes du Tchad – N’DJAMENA BI-HEBDO N° 953 du 29 au 31 mai 2006
Mallah Djona Antoine, 63 ans, a connu les différents régimes qui se sont succédé au Tchad, de François Tombalbaye à Idriss Déby. Il témoigne.
Nous l’avons rencontré à Bongor. Mallah Djona a pris part, parmi une centaine de participants, au forum régional de Bongor sur la paix et la réconciliation, organisé fin mars dernier par le comité de suivi de l’Appel à la paix. C’est en sa qualité de conseiller à la Ligue tchadienne des droits de l’homme et de secrétaire chargé des revendications et des affaires juridiques de la section régionale de l’Union des syndicats du Tchad. L’homme n’est pas à présenter au public de Bongor. Cependant, les participants venus de la Tandjilé vont le découvrir grâce à ses interventions régulières pendant les débats. Grand de taille et frêle, Papa Mallah, comme l’appellent affectueusement les jeunes Massa, conserve encore sa vigueur. « Mon fils, j’ai encore de la force », répond-il à un jeune homme qui veut l’aider alors qu’il déplaçait sa chaise d’un lieu à un autre. A 63 ans, il lit sans verres correcteurs. « C’est grâce à Dieu », dit-il. Agent sanitaire à la retraite depuis trois ans, Papa Mallah, pour raconter sa vie de retraité après 42 ans de carrière, déclare « qu’un retraité au Tchad est comme un citron pressé que l’on a jeté ». Depuis son départ à la retraite en 2002, il n’a pas gagné une seule fois sa pension.
« Mon dossier pour la pension est égaré quelque part dans les circuits administratifs au niveau de N’Djaména. Je dois, le reconstituer », nous confie-t-il avant de se souvenir des temps anciens. « Si on me demandait de noter François Tombalbaye, je lui attribuerais une note de 08/10 ». Pour papa Mallah, le président Tombalbaye était un exemple de bon dirigeant qui ne voyait que l’intérêt national. « Sous son règne, tout allait dans l’ordre. L’administration fonctionnait bien. Les fonctionnaires étaient payés le 25 de chaque mois. Pas de phénomène de coupeurs de route ni de banditisme. S’il y avait des rébellions au Nord, le reste du pays était sécurisé. A Fort-Lamy on se promenait jusqu’au petit matin sans être inquiété ».
Outre son activité d’agent sanitaire, Mallah Djona a été sous le règne de François Tombalbaye speaker à la radio Tchad pendant une dizaine d’années. Il animait une émission, Education populaire, devenue aujourd’hui La radio rurale. En plus du journal parlé, il traduisait les parutions du Canard déchaîné en massa. « Pour les informations politiques, on était surveillé. C’était le parti unique. Il ne fallait pas déraper. Quand bien même on ne vous mettait pas en prison, vous êtes copieusement engueulé en cas de dérapage. Donc, on se concentrait sur le travail. On mettait pratiquement deux heures pour traduire le journal parlé ».
Papa Mallah n’a pas encore abandonné le micro. Il anime aujourd’hui sur les antennes de la Radio Terre nouvelle de Bongor une émission, Santé au quotidien. S’il apprécie bien François Tombalbaye, Mallah Djona cite comme mauvais exemples la gestion de Déby Itno et du Comité permanent de Kamougué Wadal Abdelkader qui s’est installé dans le sud du pays à la suite de la guerre civile de 1979. De 1980 à 1982, il n’a gagné en tout que 19.000 FCFA comme salaire durant les deux années passées sous le règne du Comité permanent « qui a fait pire que le Mps. Il y avait rupture de médicaments dans les hôpitaux, mais on voyait les membres du Comité permanent s’amuser avec l’argent ». Quant au général Félix Malloum Ngakoutou qui a dirigé le pays de 1975 à 1979, Mallah Djona estime qu’il gouvernait bien sauf « qu’il ne parlait pas assez et paraissait naïf. Autour de lui, il laissait des gens agir à sa place ». Dès lors, « chaque président qui arrive s’entoure des siens au détriment de l’intérêt national ». Cependant, il déplore le rôle joué par la France qui impose ces régimes.
Hubert Bénadji
N’DJAMENA BI-HEBDO N° 953 du 29 au 31 mai 2006