Des Tchadiens à l’université de Ngaounderé – N’DJAMENA BI-HEBDO N° 954 du 1er au 4 juin 2006
L’université de Ngaoundéré accueille ces dernières années le plus grand nombre d’étudiants tchadiens à l’étranger. Dans quelles conditions de vie et d’étude vivent ces jeunes que l’université tchadienne est incapable d’accueillir? NDJH est allé à leur rencontre.
602. c’est le nombre des jeunes tchadiens régulièrement inscrits avec des bourses privées pour l’année académique 2005-2006, à l’université de Ngaoundéré. Soit 99% des étudiants étrangers, selon le président de l’Union des étudiants tchadiens à Ngaoundéré. Et le nombre va crescendo au fil des années. ‘Nous avons une coopération très fructueuse avec l’université de N’Djamena, si bien qu’en 2004-2005, nous avions 1168 étudiants étrangers dont les 97% sont des Tchadiens’, explique le Directeur des affaires académiques et de la coopération, Pr Ango Mengue Samson.
Dans les années précédentes, il suffisait de fournir les pièces exigées: deux copies légalisées (au Cameroun) du bac, du relevé de notes, du Bepc et d’acte de naissance pour être admis à l’université de Ngaoundéré. « En application de la réglementation de la Cemac, le montant des frais d’inscription de 50.000 FCFA est le même pour tout ressortissant de la sous-région. L’université exige également 5.000 Fcfa des frais médicaux. Mais ça, c’est une escroquerie parce qu’on ne reçoit même pas un comprimé d’aspirine de l’université », confie un étudiant tchadien. Mais depuis le début de l’année en cours, une moyenne de 11,50 au bac est exigée des étudiants tchadiens pour qu’ils soient admis à l’université de Ngaoundéré. Selon Pr Ango Mengue, la mesure concernant les moyennes est en train d’être balayée.
La plupart des étudiants tchadiens à l’université de Ngaoundéré expliquent leur choix de cette université par l’incapacité des universités tchadiennes à les accueillir. A Ngaoundéré, très peu d’étudiants finissent leurs années sans reprendre. « Mon grand frère m’a envoyé ici parce que, un an à la maison après mon bac, je me suis révoltée. Ici, j’ai repris la 1ère et la 2ème année », révèle Patricia, étudiante en 3ème année de droit. Comme elle, certains ont mis quatre ans, d’autres cinq, voire plus pour arriver en année de licence cette année. Beaucoup sont pourtant bien conscients des sacrifices que consentent les parents pour les soutenir. « Cette année, mon grand frère me dit que si je ne passe pas, il va me laisser. Je le comprends parce qu’il se sacrifie vraiment pour me soutenir; donc je ferai tout pour finir et aller l’épauler ». Son grand frère, un fonctionnaire, a beaucoup de charges mais accepte de se sacrifier pour lui envoyer, en dehors du loyer, 30.000 à 50.000 FCFA chaque fin du mois, selon son témoignage. C’est le cas également de Constant qui reçoit de son père, responsable de l’association Djarabé, dans le Logone occidental, le minimum dont il a pour étudier. En 3ème année de sociologie, il dit se battre pour ne pas le décevoir.
V., une fille de 27 ans, en 3ème année de sociologie option communication, témoigne pour sa part: « Sur le plan matériel et financier, je ne rencontre pas de problèmes parce que mon père consacre d’énormes sacrifices pour m’aider ». Son père, un vieil enseignant à Pala, et sa mère, ménagère, ne lésinent pas sur les moyens pour la soutenir dans ses études. Sa grande soeur, institutrice, intervient aussi ponctuellement. « Mais sur le plan académique c’est chaud. Le système camerounais est plus sérieux que notre système. Au début j’ai trouvé l’écart trop grand, maintenant je m’adapte un peu », ajoute V. qui dit avoir repris deux années. « Parce que je n’ai pas donné le meilleur de moi-même », reconnaît-elle avant de s’emporter : ‘il y a trop de laisser-aller chez nous, si bien que même des parfaits cancres obtiennent leurs diplômes. Dans ces conditions, il est inutile de venir gâcher le nom de notre pays ici.
Le logement, une autre paire de manches
Comme elle, Francis, rédacteur en chef de Al Istifaqh, bulletin d’information de l’Uet/Un, balaie d’un revers de main les arguments de certains Tchadiens selon lesquels les nombreux échecs des étudiants tchadiens sont dus à des pratiques discriminatoires. « J’oppose un avis contraire. Ce qu’ils disent n’est pas vérifié. A mon avis, il suffit seulement de travailler pour avoir de meilleurs résultats, mais beaucoup d’entre nous ne le font pas ».
Certains étudiants tchadiens expliquent pour leur part les nombreux échecs par les problèmes sociaux qu’ils connaissent.
Pendant la période allant de novembre à février, le problème d’alimentation ne se pose pas, expliquent-ils. « il y a même de l’abondance alimentaire à cause des tubercules », admet le président de l’Uet/Un. En dehors de cette période, la nourriture devient chère. « Moi, je dépense 1.000 FCFA par jour pour la nourriture, et avec ça, je ne mange la plupart du temps que le riz sauté », raconte une étudiante.
Le problème crucial est celui du loyer. Les bailleurs exigent souvent le paiement en deux tranches. « En tout cas, pas moins de trois mois dès la rentrée », précise Constant. « Une petite chambre d’à peine 2m2 coûte entre 10.000 et 20.000 Fcfa. Les chambres de 10.000 Fcfa ne sont pas équipées; à partir de 15.000, elles sont équipées », explique un autre étudiant.
Malgré l’exiguïté des chambres, certains étudiants tchadiens s’arrangent à y être à deux. « Le « cochambrage », 20% des étudiants le pratiquent. Mais c’est notre stratégie ici; nous ne le faisons pas comprendre aux parents », confie un étudiant qui partage sa chambre avec un cousin qui ne compte sur aucun soutien au pays. Battant, celui-ci essaie, presque seul, d’affronter les défis des études supérieures. Les deux « coch », selon le jargon du milieu, se comprennent comme deux larrons en foire. Ce n’est pas le cas de tous les « coch ». « Il y a des gens qui ne s’entendent pas et en pleine année, des chamailleries puis des séparations surviennent. 11 y a également des coch qui ne te respectent pas et arrivent à tout moment avec des amis pour te perturber alors que tu es en train de lire ou de te reposer. Cela a souvent de l’influence sur les résultats », explique une victime.
Une autre victime, Djérané, parle de la fausse solidarité tchadienne dont certains étudiants usent pour escroquer leurs amis. « Il recevait l’argent de ses parents mais il est venu m’expliquer des choses montées. Je l’ai supporté pendant un an ; après, il est rentré et n’est pas revenu », raconte-t-il d’un autre étudiant, qui n’est rien d’autre que son cousin. Ce dernier, quand il recevait de l’argent des parents, il disparaissait pour ne revenir qu’une fois l’argent fini. Au point qu’un jour, sans argent, il a bu sans payer avec des amis et a tenté de fuir. Il s’est retrouvé en prison. « Nous avons dû payer pour le sortir », explique Djérané.
Le « spiritisme » en vogue
En fait, cet étudiant est un adepte du spiritisme, une idéologie qui fait son temps dans le milieu estudiantin à Ngaoundéré. Les étudiants « esprits » sont ceux qui passent par tous les moyens pour avoir ce qu’ils veulent : faux et usage de faux, escroquerie, abus de confiance, vol, etc. Certains ont pour cibles leurs compatriotes, d’autres les Camerounais. Certains d’entre eux finissent par se retrouver en prison. « Nos premières démarches dans ces conditions consistent à négocier leur libération », explique le président de l’Uet/UN qui estime que cela est souvent le fait des nouveaux étudiants qui n’ont pas l’expérience de la vie à Ngaoundéré et se mettent à dépenser de façon folle.
Certains esprits, par peur de la prison, se tournent vers leurs parents. « Certains paient des crédits pour charger le téléphone de leurs amis et leur demandent d’appeler leurs parents pour leur expliquer qu’ils sont gravement malades ».
Par Alladoum Nadingar Envoyé spécial
N’DJAMENA BI-HEBDO N° 954 du 1er au 4 juin 2006