Les libertés publiques mises entre parenthèses au Tchad – N’DJAMENA BI-HEBO N° 957 du 12 au 14 juin 2006-

Bien avant que Nicolas Sarkozy, ministre français de l’Intérieur, ne mette en application sa loi sur l’immigration, Jean Pierre Berçot, ambassadeur de France au Tchad, filtre l’entrée en France des leaders politiques opposés à Déby Itno. Ailer et venir, ce droit cons­titutionnel, est restreint, ces jours-ci, pour une caté­gorie de citoyens, notamment les chefs des partis politiques de l’opposition et leurs élus. Le ministère des Affaires étrangères les soumet à une procédure à la fois adminis­trative et policière, digne de l’époque de la Dds, qui ne leur permet pas d’obtenir auprès des chancelleries occidenta­les à N’Djaména, en l’occur­rence l’Ambassade de France, des visas d’entrée.

La semaine dernière, cer­tains leaders politiques de l’op­position ont été publiquement humiliés. Le 6 juin dernier, le prési­dent de l’Union pour le déve­loppement et la république (Udr), Jean Alingué Bawoyeu, encore lui, s’est vu confisquer le passeport à l’aéroport de N’Djaména par l’Agence na­tionale de sécurité (Ans). « Nous avons reçu des ordres de nos supérieurs d’empêcher les leaders politiques de sortir du pays », ont opposé les res­ponsables de cette police politique à la demande d’ex­plications du président Alingué qui a refusé de sortir sans son passeport du bureau qui sert de poste police à l’Ans. Alingué n’entrera en posses­sion de son passeport qu’au bout de deux heures de pala­bres et d’intervention des responsables de la sécurité. On rapporte même que c’est fina­lement Idriss Déby lui même qui, « ne voulant pas avoir des problèmes avec Alingué » dit­-on, aurait ordonné la restitu­tion de ce passeport. Cela, après que le mal est fait: l’avion a déjà décollé deux heures auparavant. Question: d’où viennent alors les ordres que ces « policiers » prétendent exécuter si ce n’est pas Déby Itno lui même qui les don­nent?

A la veille de l’incident de Alingué, Saleh Kebzabo, pré­sident de l’Union pour le re­nouveau et le développement (Undr) et député du départe­ment du Lac Léré avait égale­ment eu maille à partir avec les fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères pour l’obtention d’un visa d’entrée en France.

Si ce n’est pas l’Ans, c’est l’ambassade de France

Ces fonctionnaires des Affaires étrangères ont de­mandé au consulat de l’ambassade de France de ne pas accorder de visa de séjour en France à Saleh Kebzabo et de leur retourner le passeport diplomatique qu’il a introduit à cet effet. Selon ces fonction­naires, Kebzabo qui effectue une mission strictement pri­vée en Europe -prendre part à l’assemblée générale du Rotary Club en Suède- ne peut prétendre à un visa d’en­trée en France avec un pas­seport diplomatique. Mais le fonctionnaire qui avait con­tacté Kebzabo prétendait que le refus venait de l’ambassade de France. Ce fonctionnaire était confondu lorsque Kebzabo lui a relaté la version des diplo­mates de l’Ambassade de France. Cette manigance n’a pas découragé Kebzabo qui a introduit une nouvelle de­mande de visa avec un pas­seport ordinaire. Une se­conde surprise: il n’aura un visa valable que pour une se­maine. Car, selon le diplo­mate français, les officiels Français, en l’occurrence Bri­gitte Girardin, ministre de la Coopération et Benoît de Bonnecorse, conseiller Afri­que de l’Elysée que Kebzabo et Ibni Mahamat Saleh sou­haiteraient rencontrer pendant leur séjour à Paris au nom de la Cpdc, seront au Tchad à partir du 16 juin prochain. Ces deux leaders de la Cpdc doi­vent impérativement être au Tchad pendant le séjour de ces officiels français!

La liste des leaders fichés est tenue par l’ambas­sade de France

Quant à Mahamat Konto, député de Moundou pour le compte du parti Far qui de­vrait se rendre en Chine po­pulaire sur invitation du parti communiste chinois, il a croisé le fer le mercredi 7 juin à Yaoundé avec l’ambassa­deur du Tchad au Cameroun pour une note verbale qui de­vait lui permettre d’obtenir un visa de transit auprès du con­sul de France de Yaoundé. Pour cet visa de transit, le dé­puté Konto avait fourni des pièces justificatives comprenant entre autres l’autorisation d’absence délivrée par le pré­sident de l’assemblée natio­nale, une note verbale du ministère des Affaires étrangè­res, un visa de l’ambassade de Chine populaire. Dans un premier temps, le consul de l’ambassade de France au Cameroun avait accepté de donner ce visa au député Konto mais un autre préposé du consulat l’en aurait dis­suadé. C’est pour cela que Konto s’est rabattu sur l’am­bassadeur du Tchad au Ca­meroun qui a promis l’aider. Mais à l’heure convenue avec l’ambassadeur pour récupérer le passeport, le député konto n’a trouvé ni l’ambassadeur, ni son passeport. Il a fallu que ce député fédéraliste râle comme Alingué pour retrouver son passeport.

Les difficultés d’ Alingué, de Kebzabo et de Konto pour obtenir un visa d’entrée en France montrent nettement la collusion des autorités tchadiennes avec l’Ambassade de France au Tchad pour res­treindre la liberté de circuler des politiciens tchadiens, sur­tout, ceux qui avaient ouverte­ment prôné le boycott du réfé­rendum constitutionnel et de l’élection présidentielle du 3 mai, On savait qu’après cette élection, Déby Itno allait sévir contre l’opposition. Cepen­dant, on était loin de croire que l’ambassade de France se prêterait à ce jeu en oubliant de contrôler l’entou­rage du président lui même qui inonde Paris de stupé­fiants et autres objets illicites. La condamnation de Brahim Déby Itno par la justice fran­çaise la semaine dernière montre clairement aux Fran­çais la catégorie de citoyens tchadiens qui sont indésira­bles en France.

Jean Claude Nékim
N’DJAMENA BI-HEBO N° 957 du 12 au 14 juin 2006


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