Interview du Ministre des Affaires Etrangères Ahmat Allam-Mi – N’DJAMENA BI-HEBDO N° 989 du 02 au 05 novembre 2006

« Nous nous contentons des réconciliations de façade, sans régler à fond les conflits », déclare le ministre tchadien des Affaires étrangères, Ahmat Allam-Mi, à propos du conflit Tchad/Soudan.

Va-t-on une fois de plus vers une rupture des relations di­plomatiques entre le Tchad et le Soudan?

Nous ne souhaitons pas une rupture des relations diploma­tiques. Elles sont maintenues. Il y a des accords de normali­sation des relations entre les deux pays qui ont été signés. Il s’agit de les appliquer. Le pre­mier pas, c’est le rétablisse­ment des relations diplomati­ques, mais attention! Les rela­tions entre le Tchad et le Sou­dan ne sont pas encore nor­males. Des mécanismes sont là pour nous aider, Tchadiens et Soudanais à les normali­ser.

Quels sont ces mécanis­mes?

Il y a les mécanismes bilaté­raux, la commission politique dirigée par les deux ministres des Affaires étrangères qui, normalement doit se réunir périodiquement pour essayer de résoudre les crises. Je pense que ce mécanisme ne peut pas jouer tant que le Sou­dan n’abandonne pas ses idées subversives. Il faut de l’apaisement pour que ce mécanisme s’emploie sur le terrain. Il y a des comités de suivi des accords de Tripoli, qui constituent un autre méca­nisme qui peut être touché dans le cadre de la résolution de ce conflit. Mais nous avons préféré un autre mécanisme, qui est le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine que nous avons saisi pour qu’il se réunisse d’urgence pour essayer d’examiner l’agres­sion soudanaise contre le Tchad. Qu’il puisse peut-être faire en sorte que ces agres­sions cessent pour que nous puissions continuer sur la voie de normalisation de nos rela­tions.

Quelles sont les preuves en votre possession qui justifient l’agression du Tchad par le Soudan?

Nous avons des preuves suf­fisantes. Nous n’avons pas commencé par les bombar­dements du 27 octobre 2006 des villages à 5 km en territoire tchadien. Nous avons d’abord commencé à accuser le Sou­dan de nous agresser lors­qu’il nous a envoyé ses obli­gés, ceux que nous appelons ses mercenaires et que cer­tains appellent les politico-mili­taires pour traduire dans les faits ses menées subversives. Pas plus tard que le dimanche dernier, des éléments équipés de véhicules neufs et armés de SAM7 sont venus se promener à Goz-Béida et à Am Timan avant de se retirer vers le Soudan et la Centrafrique. Nos forces sont en ce moment à la poursuite de ces fuyards. C’est ça l’agression! Mais nous avons d’autres preuves. Nous som­mes informés à la minute de tout ce qui se passe à El Généina. Nous savons que les hautes autorités soudanaises réunissent autour d’eux des mécontents ou leaders politi­ques à la recherche d’une quel­conque responsabilité au Tchad. Ces autorités les ac­cueillent à bras ouverts. Elles les logent dans des hôtels et fabriquent des mouvements de rebellions sur des bases triba­les avec ceux-là en assurant l’encadrement militaire de ces gens en vadrouille et en les équipant des armes et véhicu­les. Nous avons des informa­tions précises et le moment venu, nous allons exposer tou­tes les preuves.

De son côté Khartoum ac­cuse également N’Djaména de lui fabriquer des rebelles…

A partir du moment où on vous agresse, vous êtes obligés de vous défendre. C’est ce que nous faisons. Nous défions quiconque, de façon comme nous le faisons par rapport à l’agression soudanaise, que nous soutenons la rébellion soudanaise. On accuse à tort et à travers le président de la Ré­publique et son grand frère d’être derrière leurs frères Zaghawa pour soutenir la ré­bellion soudanaise. La rébel­lion soudanaise n’est pas cons­tituée que de Zaghawa. Toutes les communautés du Darfour sont impliquées. Certes, une partie de ces rebelles est Zaghawa, mais ce ne sont pas des Tchadiens. Ils sont des Zaghawa soudanais. Mais comme tout se passe à la frontière, des solidarités eth­niques peuvent jouer du côté des Zaghawa ou du côté des autres communautés. C’est un danger que des so­lidarités tribales puis­sent jouer de part et d’autre. Cela veut dire qu’il y a des risques que la guerre tribale soit ex­portée jusqu’au Tchad. C’est la raison pour laquelle, très tôt, nous avons essayé de contribuer au règlement du conflit du Darfour. Mais tantôt ce sont les rebel­les qui nous accusent d’aider le gouverne­ment soudanais, tantôt c’est le gouvernement soudanais qui nous ac­cuse de soutenir conte lui la rébellion. Nous étions dans une situa­tion très inconfortable. Nous avons essayé de faire de notre mieux pour régler cette crise, le gouvernement soudanais le sait très bien. Nous l’avions fait, parce que nous savions que la guerre du Darfour, si elle n’est pas éteinte très tôt risquait de nous brûler et déstabiliser toute la sous région: Mainte­nant, l’hypothèse la plus cré­dible, c’est qu’avec le temps, il s’est avéré que le gouverne­ment soudanais n’a pas la volonté de régler la crise du Darfour par la voie politique. Il cherche à la régler par la voie militaire. C’est pourquoi il a trouvé le prétexte de la forma­tion d’une organisation autour des éléments qui n’ont pas signé les accords d’Abuja pour créer un nouveau front. C’est ainsi que dans sa course à la violence, il a réussi à renvoyer tous ces gens vers le Tchad. C’est comme ça que progressivement, la guerre s’est déplacée le long de la frontière tchadienne avec pour but final, par un nettoyage eth­nique quelconque, renvoyer au Tchad toutes ces popula­tions pour faire croire à l’opi­nion qu’il n’y a plus de pro­blème dans le Darfour. Des analystes vont plus loin en disant que le régime de Khar­toum veut se débarrasser de ceux en place à N’Djaména et à Bangui pour d’autres régimes à sa dévotion.
Le gouvernement tchadien accuse l’Union africaine de ne pas porter une attention requise à ce conflit.

Pensez-vous à d’autres instances pour le règlement du conflit Tchad-­Soudan?

Nous avons dit que nous ne sommes pas satisfaits de la manière avec laquelle le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine traite la question de l’agression et de la déstabilisa­tion du Tchad par le Soudan. Nous avons demandé au Conseil de paix et de sécurité de l’Ua de se saisir très vite de la question, parce qu’elle est très grave et de jouer son rôle de prévention, de gestion et de règlement des con­flits. Un exemple, les accords de Tripoli du 8 février 2006 ont prévu une force de sécurisation de la frontière soudanaise qui devait empêcher toute incursion des Djandjawid contre les villages tchadiens. Cette force devait être à pied d’oeuvre depuis février, mais rien n’est fait. Si cette force avait été rapidement déployée, peut-être qu’on n’arriverait pas à cette situation actuelle. Mais l’ac­cord de normalisation entre le Tchad et le Soudan prévoit une force mixte de sécurisation de la frontière. Cette force mixte devrait opérer sous l’observation de cette force de sécurisation de l’Ua qui n’est pas en place. C’est dire que quelque part, il y a quelque chose qui ne va pas. Nous nous conten­tons des embrassades entre les chefs d’Etat, des réconciliations de façade et après tout, on n’aide pas les pays.

Interview réalisée par Djéndoroum Mbaïninga
N’DJAMENA BI-HEBDO N° 989 du 02 au 05 novembre 2006


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