Les combats de l’Est, une imposture… LE TEMPS N° 472 du 29.03.06
Un flou ou déficit communicationnel, ajouté à l’apathie traditionnelle de N’Djaména des militaires qui ne s’émeut que lorsque les combats arrivent à Pont Bélilé, nous a fait croire que la tragédie qui se déroule à nos frontières avec le Soudan voisin n’était qu’un jeu médiatique. Nous avons, en effet, vu le PR, guindé dans une tenue militaire, manches courtes, flambant neuf parader devant quelques officiers décrétés, le bâton de commandement à la main. Ce n’est plus un champ d’opérations mais la sortie virtuelle d’élèves officiers d’une académie militaire!
Et ce n’est pas tout? Le colonel-guide d’un journaliste, emboîtant le pas à son patron d’oncle croit bien faire aussi d’arborer une tenue et galons juste sortis d’usine! On nous montre un gris-gris suspendu à une branche, quelques mottes de terre dites tombes de rebelles, et surtout une Toyota calcinée filmée sous plusieurs angles. Quelques brindilles brûlées… et tout cela aura suffit pour faire croire aux Tchadiens, à l’opinion internationale que la base des rebelles a été détruite. Comme pour baisser le rideau de cette représentation comique, un communiqué du ministre de la Communication et de la Culture clôt l’imposture.
Nous voilà donc rassasiés. C’est la fin des aventures a dit-le chef suprême des armées. S’agit-il bien d’aventures ou d’aventuriers ? Tout semble démontrer qu’il s’agit bien des aventuriers puisque sept colonels auraient été faits prisonniers et qu’une dizaine de morts rapidement enfouis dans le sable nous ont fait croire qu’il n’y a eu que 17 déserteurs aventuriers depuis qu’on nous rabâche les oreilles des coups d’Etat ratés. Les couacs de ce montage sont nombreux. A moins de prendre les Tchadiens pour des imbéciles, nous voudrions savoir. En effet, peu avant les hostilités, un décret du président de la République a radié de l’armée environ 75 officiers. Sept ont été fait prisonniers et dix sont morts. A moins que nous ne sachions pas calculer, il reste une cinquantaine d’officiers qui se sont volatilisés dans la nature.
Nous sommes au moins sûrs que trois généraux ne sont pas morts. Or Napoléon qui n’est pas un petit soldat a dit que tant que les officiers sont vivants l’armée vivra toujours. La rébellion a donc une longue vie devant elle et » la fin des aventures » préconisée par IDI est bien hypothétique. Ni non plus la fin des aventuriers. L’ombre de Séby Aguid, Issakha Diar, Bokhit Ramadan, Tom et Timan Erdimi continuera d’ôter le sommeil à ceux qui se donnent une paix de conscience par les arguties. Les rêves, les souhaits du PR et de ses collaborateurs ne doivent pas être pris pour des réalités, des vérités rassurantes.
Impossible d’oublier
C’est vrai que les Tchadiens en sont réduits à vivre comme des insectes: au jour le jour! Nous ne savons plus « Ce qui s’est passé hier et nous refusons d’imaginer ce qui se passera demain. Sinon comment oublier que dans cette unité familiale et clanique qui était à la GR tout le monde était officier. Les princes ne sont jamais soldats! Comment oublier cette longue distance qui sépare N’Djaména, Bardai et Bol de la frontière soudanaise. Aucun déserteur n’a rejoint les points de repli à dos d’âne ou par minibus (Hiace) de la gare routière. Les déserteurs ont emporté qui des véhicules qui des armes et munitions et chaque Toyota avait au moins deux à trois fûts de carburant. Le bilan des deux jours des combats gouvernementaux est une altération grossière de la vérité. Tout ce qui a été dit est une acrobatie « intellectuelle » servant à distraire.
Tout le monde sait que la GR, ce n’est pas seulement une vingtaine d’hommes et un véhicule ! C’est toute une force d’élite au service exclusif de IDI. Les Tchadiens ont aussi entendu par la déclaration du gouvernement, à moins que cela ne soit l’expression d’une peur inconsidérée, que 3000 hommes armés et entraînés attendent fermement Deby à la frontière. Il y a au Nord une rébellion non éteinte et celle de l’Ennedi s’est réanimée suite aux maladresses de IDI vis-à-vis de Adoum Togoï. Dassert et ses hommes sont là, alors qu’on a annoncé aussi la destruction de sa base. La victoire de Déby sur ses frères rebelles c’est comme celle de Tombalbaye sur Ibrahim Abatcha. Chaque jour on annonce sa mort jusqu’à ce que par un hasard il soit mort définitivement dans un buisson du Salamat.
Un bilan erroné
La vérité est ailleurs. La garnison d’Adré rassemble au moins 2000 hommes: militaires de l’ANT, gendarmes et éléments de la GNNT. Comme l’a si bien dit Yaya Dillo, 80 pour cent de forces de Deby se trouvent à l’Est. Lorsque cette concentration sera défaite, il n’y aura plus d’armées, plus de Deby et plus de guerre! Paroles d’un frère qui s’y connaît! Les derniers combats de l’Est ont été très meurtriers. Laissons de côté les mercenaires sud-africains venant de la Guinée de Nguéma. Négligeons aussi les coups de main en logistique et « humanitaires » de l’armée française. Oublions le concours « désintéressé » des rebelles du MJE aux côtés des forces loyalistes. Il est rapporté de ces combats que le premier contingent de la GNNT engagé à l’Est ne se serait pas sorti des grottes. Quant aux gendarmes, on dit qu’il n’en est sorti que sept éléments. A l’état-major à N’Djaména, il y aurait une longue liste des officiers tombés au combat. Puisqu’il y a peu d’informations sur les forces gouvernementales et que celles des rebelles ne sont que très modiques, on peut tout nier, tout cacher mais ce silence cache des non-dit importants. Notamment que le PR n’était pas sur les champs de bataille, et que tout ce qui lui rapporté est faux de bout à bout.
Que cette victoire à la Pyrrhus fait planer des doutes sérieux sur le calendrier électoral que IDI s’est décrété pour un passage en force sur tous ses adversaires !
Déby s’en fout du pays
Qui pourrait dire à Deby que tout ceci n’est ni possible, raisonnable. Il n’est pas possible, en effet, que les militaires de Deby puissent en découdre, par un coup de baguette magique toutes les rébellions. Et puisque dans la tête du président, il nullement question de quitter le pouvoir comme le réclame politico-militaires du Nord, du Sud et de l’Est, il faut que le Tchad vive avec la guerre. Le chemin pour la paix sera encore long et clairsemé de morts et de destructions. Même réélu par la fraude nous devons nous habituer avec la guerre comme les arriérés de salaires. Il n’est pas raisonnable de » foutre ainsi en l’air » son pays. Mais Deby s’en fout royalement avec tous ceux qui l’encourent dans cette forfaiture à commencer par l’Ambassadeur de France quelques corrompus de l’Union africaine et de la communauté internationale.
Il n’y a pas de guerre qui ne finisse pas et de pouvoir qui ne prenne pas fin. N’oublions pas cette autre vérité: « chacun en particulier et la cité en général ont un besoin urgent et passionné de débattre dans la vérité des problèmes politiques moraux et de reconstruction« . La parole libre peut seule cesser la crainte, ôter l’affliction, susciter la joie et développer la solidarité. Ce dont on voudrait, nous habituer au sommet de 1’Etat : le mensonge, l’art oratoire sont de toute évidence trompeur, et chacun en mesure les méfait
Marcel Kossi-Koh
LE TEMPS N° 472 du 29.03.06