Panique à N’Djaména

De la décrépitude vers l’apocalypse

La panique du 22 mars dernier a été le meilleur baromètre de la décrépitude dans laquelle se trouve le pays. Mais il est surtout un signe révélateur sinon annonciateur de l’apocalypse qui attend les Tchadiens. La pourriture de la situation socio-politique actuelle et le refus du régime d’entamer un véritable dialogue avec l’ensemble des acteurs de la vie politique exposent le pays à un désordre sans précédent dans les prochains jours.

N’Djamena, 22 mars, il est environ 10 heures. Une dispute éclate entre les patrons du Haut commissariat national pour le déminage (HCND). L’objet de la dispute, une banale revendication salariale. Les protagonistes dégainent leurs flingues. Des coups de feu partent. Comme dans un véritable film western. Deux balles seulement déchirent le silence matinal des lieux, coincés entre le palais rose et celui du gouvernement.

La garde présidentielle, du moins ce qui reste, échaudée par le coup d’Etat du 14 mars dernier, sort les gros moyens. C’est le sauve qui peut. Les escaliers du palais du gouvernement sont dévalés par des fonctionnaires qui ont tous retrouvé leurs jambes de vingt ans. Un ministre, dit-on, qui était en réunion avec ses collaborateurs, a même piqué un sprint digne de Ben Johnson, oubliant au passage de ramasser sa veste. Au chauffeur et au garde du corps qui ne comprenaient rien à ce sprint de leur patron, il n’eut qu’à répondre : «Démarre et en trombe».Dans un vrombissement terrifiant, la voiture ministérielle rejoignit la cohue cauchemardesque qui dévala sur la ville.

Même chez les bidasses, la peur a fait son effet! Comme ce lieutenant de la garde nomade, bâti comme un baobab pourtant, qui devant cette situation incompréhensible, se débarrassa de sa tenue avant de disparaître à enjambées dans les rues de Moursal.

Tout en étant fort comique, ce qui s’est passé ce mercredi 22 mars est pourtant dramatique. Comment, comme une traînée de poudre, une panique sans précédent s’est emparée de la capitale et même du reste du pays avec des scènes de pillage dans certaines localités du pays?

Psychologues, psychiatres et peut être sociologues et anthropologues auront là un sujet sur lequel épiloguer. Le fait que ces évènements surviennent exactement une semaine après le coup d’Etat raté du 14 mars dernier est compréhensible. Et même intelligible. Mais l’ampleur de la confusion telle que vécue est révélatrice d’une inquiétude, grande, qui plane sur le pays.

Premièrement, la panique du 22 mars dernier est la manifestation la plus éclatante du divorce qui existe entre le peuple et ceux qui le dirigent. Même des militaires censés, dans une situation pareille, rejoindre les casernes pour parer à toute situation, ont préféré prendre la poudre d’escampette. Les policiers, prêts à racketter les usagers sur les routes plutôt que de faire leur travail convenablement, se sont évanouis dans la nature. Comme par enchantement.

Deuxièmement, la panique a révélé l’absence même de l’Etat. On a attendu plusieurs heures avant d’entendre un communiqué sur la radio nationale appelant au calme. Dans une pareille situation, des professionnels de coups d’Etat peuvent s’emparer du pouvoir sans coup férir car mis à part la Garde présidentielle qui a paradé pendant un temps, aucune force organisée n’était là pour rassurer. Personne ne pouvait exactement dire ce qui se passait.

Troisièmement, avec ces évènements, les Tchadiens ont vu rouvrir en l’espace de quelques minutes la plaie du divisionnisme née de la guerre civile de 1979. Des personnes, de grandes personnes, se sont mises à pleurer à chaudes larmes parce qu’elles se trouvaient au mauvais lieu, au mauvais moment. Et ces arrogants conducteurs de Toyota Hiace, qui se croient d’une certaine race aryenne ont décampé comme des rats, se faisant tout petits. Cela se passe de commentaires.
La panique du 22 mars dernier a été le meilleur baromètre de la décrépitude dans laquelle se trouve le pays. Mais il est surtout un signe révélateur sinon annonciateur de l’apocalypse qui attend les Tchadiens. La pourriture de 1a situation socio-politique actuelle et le refus du régime d’entamer un véritable dialogue avec l’ensemble des acteurs de la vie politique exposent le pays à un désordre sans précédent dans les prochains jours.

Aujourd’hui, le général IDI claironne sur tous les toits avoir écrasé les rebelles. Son PM, passé maître dans l’arrogance et la maladresse politique, refusant d’entendre raison, estime que les exigences de l’opposition sont fantaisistes et que la machine électorale étant lancée, il n’y a plus lieu de la retenir. Les multiples coups d’Etat ratés, la déconvenue du régime lors du référendum du 6 juin dernier et l’impressionnante mobilisation de N’Djaménois lors du dernier meeting de la CPDC au Palais du 15 janvier sont pourtant de signes qui indiquent qu’il y a de l’électricité dans l’air.

Dans ces conditions l’organisation des élections présidentielles le 3 mai prochain devient un auto- empoisonnement pour le régime. Ce n’est pas parce que les stratèges du Parti au pouvoir ont dégotée quelques plaisantins pour jouer à la farce électorale qui s’annoncent qu’on est tiré d’affaire. Tirons les leçons de nos échecs, apprenons de notre passé récent et évitons l’irréparable. Que la panse n’obstrue pas la pensée de ceux qui ont la destinée de ce pays entre leurs mains.

Michaël N. Didama
LE TEMPS N°472 du 29.03.06


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