Le début de tous les désordres et aventures: LE TEMPS N° 473 du 5 avril 2006

Les combats de Hadjer Maifaïne le 20 mars dernier tout comme ceux d’Adré le 18 décembre dernier à Adré n’étaient couronnées que par des victoires à la Pyrrhus de l’ANT. Dans notre précédente édition nous notions que le bilan de la bataille de Hadjar Marfaine, tel que présenté par les autorités, relevait de l’imposture. Nous ne croyions pas si bien dire que les événements de Moudeina, le jeudi 30 mars 2006, nous donnaient totalement raison. Comment oser claironner urbi et orbi avoir mis fin à tous les désordres alors même qu’à Hadjar Marfaine, les forces gouvernementales n’avaient eu à croiser le fer qu’avec une petite partie des hommes du SCUD et du RP J ? Comment avoir l’imprudence de dire que la force des rebelles n’était seulement que médiatique alors qu’on sait très bien que le RDL aligne à lui seul plus de 3000 hommes suréquipés, surentraînés et surarmés?

Il y a une dizaine de jours, précisément le 23 mars dernier, le général de corps d’armée Idriss Déby Itno, chef suprême des armées, personnellement monté au front avec la logistique française, après l’attaque des bases rebelles à Hadjar Marfaïne, claironnait avoir nettoyé la rébellion. « Depuis 2004, nous avons vécu six tentatives de coup d’Etat. Et, depuis fin 2005, nous avons assisté à une série de désertions d’officiers… à la solde de l’Etranger et qui sont décidés à plonger le pays dans le chaos », avait déclaré le général- Président avant de se féliciter d’avoir mis fin « à tous les désordres » avec la destruction de la base des rebelles à Hadjer Marfaïne. « C’est la fin de toutes les aventures », avait-il martelé.

Son neveu et de surcroît chef d’Etat major de l’armée de Terre renchérissait, au micro du très avisé confrère Valéry Gotingar de la Primature que « la force des rebelles n’est seulement que médiatique ». « La puissance militaire des rebelles est réduite à néant », a-t-il déclaré avec beaucoup d’assurance avant d’ajouter: « (…) La rébellion ne représente rien. C’est une minorité composée de quelques aventuriers qui profitent du téléphone satellitaire Thuraya pour raconter n’importe quoi. (…) » Et avec force détails, le regretté général Abakar Youssouf Mahamat Itno disait même avoir détruit une des deux seules armes lourdes de calibre 14,5 mm dont disposaient les rebelles, l’autre étant récupérée. « Avec ce combat, leur capacité militaire est réduite à néant », a tenu à rajouter le jeune général dont on entend encore la voix d’outre tombe alors qu’il paradait à la télévision nationale. Et c’est pour bien montrer que la situation est sous contrôle, que la presse, expédiée sur le front le mercredi 22 mars, a été notamment mise à contribution pour prêcher ce nouvel Evangile au peuple. La bonne nouvelle de la fin de toutes les aventures!

Les crédules et les naïfs avaient naturellement bu cette parole. Et comme d’habitude, la presse qui dérange, celle que nous représentons, a été soigneusement écartée de ce voyage sur le front de Hadjar Marfaïne pour immortaliser l’éclatante victoire de nos vaillantes et patriotiques forces combattantes! Qu’à cela ne tienne, n’est ce pas la fin de tous les désordres?!

L’histoire a montré qu’aucune rébellion venue de l’Est du Tchad n’a été matée. De l’aventure du Frolinat au milieu des années 1960 à l’odyssée de Goukouni en passant par les péripéties des FAN de Habré en 1982 et l’insurrection d’Idriss Déby un certain 1er d’avril 1989, aucun pouvoir à N’Djaména n’a pu réduire par les armes des « aventuriers » (dixit IDI) venus de l’Est. Surtout quand le même El Béchir qui a amené IDI au pouvoir un 1er décembre 1990, est toujours le maître de Khartoum et protecteur peu ou prou des insurgés. El Béchir et IDI ne parlant actuellement plus le même langage, il est bien à craindre que 1 ‘histoire se répète.

Les combats de Hadjer Marfaïne le 20 mars dernier tout comme ceux d’ Adré le 18 décembre dernier à Adré n’étaient couronnées que par des victoires la Pyrrhus de l’ ANT. Dans notre précédente parution, nous affirmions déjà que le bilan de la bataille de Hadjar Marfaine, tel que présenté par les autorités, relevait de l’imposture. Nous ne croyons pas si bien dire que les événements de Moudeïna le jeudi 30 mars nous donnaient totalement raison.

Comment oser claironner urbi et orbi avoir mis fin à tous les désordres alors même qu’à Hadjar Marfaine, les forces gouvernementales n’avaient eu à croiser le fer qu’avec une petite partie des hommes du SCUD et du RPJ ? Comment avoir l’imprudence de dire que la force des rebelles n’étaient que médiatique alors qu’on sait très bien que le RDL, à lui seul, aligne plus de 3000 hommes suréquipés, surentraînés et surarmés? Etaient-ce des caméras ou des micros du RDL qui avaient attaqué Adré le 18 décembre dernier? Etaient-ce des médias du RDL qui avaient mis hors combat les deux hélicoptères MI17 de l’armée tchadienne lors de ces fameux combats d’Adré ? Avec tout le respect que nous vouons à la mémoire de tous ceux qui sont tombés lors de cette bataille de Moudeïna, les rebelles du RDL avaient-ils porté ce terrible coup à l’armée en se servant de stylos, calepins et autres micros?

Les déclarations maladroites du chef de l’Etat et de son neveu de chef d’Etat major de l’armée de terre ont plutôt jeté de l’huile sur le feu. C’est un défi lancé aux rebelles qui ont répondu par la gifle de Moudeïna. Ce n’est plus la fin de tous les désordres. C’est maintenant que commencent les désordres et les mésaventures pour le régime. Ces déclarations va-t-en guerre aux lendemains de la bataille de Moudeïna ont plutôt galvanisé la rébellion et l’ont aidé à resserrer ses rangs.

Malheureusement, l’option de la violence a pris le dessus devant celui de la paix et de la raison. Mahamat Nour, qui est tellement avare en déclarations à la presse, ne semble pas parler en l’air quand, sur RFI qui l’a interrogé ce samedi 1er avril, après que ses hommes eussent tué le général Abakar Youssouf Itno, a déclaré, avec une assurance terrible que « c’est la fin du régime et il ne reste à Déby qu’à plier ses valises ». Bien que cette déclaration soit faite de bonne guerre, une réponse du berger à la bergère comme diront certains, elle est annonciatrice de la violence qui risque de s’abattre sur l’Est du Tchad dans les prochains jours. Une fois de plus, au Tchad, le langage des armes aura pris le dessus sur celui du dialogue. Ceci par la faute de quelques aveuglés de part et d’autre, avides de pouvoir, qui ne voient en ce dernier aucune vertu. Pour le malheur des chairs à canon qui continueront inexorablement encore à tomber.

Michaël N. Didama
LE TEMPS N° 473 du 5 avril 2006


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