Déboires d’un ambassadeur – Le Temps N°481 du 31 mai au 06 juin 2006
Depuis la modification de loi portant gestion des revenus pétroliers, on savait bien que les générations futures ne pourront pas compter sur la manne pétrolière pour améliorer leurs quotidiens. Mais le pire c’est que même les générations passées ne semblent pas non plus en tirer profit, du moins pour ce qui est de leurs conditions de vie. L’histoire, totalement hallucinante, se passe sur une colline de Yaoundé.
Arrivé quelques minutes plus tôt pour dîner au restaurant de l’hôtel Prestige à Yaoundé, S.E. Sékimbaye Bessané, Ambassadeur plénipotentiaire du Tchad au Cameroun, militant de la première heure du parti au pouvoir, s’apprête à repartir. En face du parvis de l’hôtel, sur une colline bien dégarnie, est garée sa voiture; une Mitsubishi Galant couleur bleu nuit, atteinte par l’âge et arborant une plaque d’immatriculation CD 32 3 artisanale. A son bord, deux messieurs. Au geste de l’Ambassadeur, toute de finesse et de diplomatie, les occupants comprennent que l’heure de départ est arrivée. L’un des occupants de la voiture s’éjecte au dehors. Il est grand et robuste. Pas de doute donc sur sa lignée : un authentique arrière petit fils de Sao. II s’arc-boute, se plie en deux et, dans un élan synchronisé avec les coups d’embrayage du conducteur, entreprend de pousser vaillamment la monture. La pente relativement raide de la colline décuple l’énergie cinétique et donne de l’envergure au mouvement de descente. Et alors, tel un cheval sans harnais au sortir d’un starting gate; la voiture du diplomate déboule, toussote et fini par laisser échapper un ronronnement mal contenu. Elle s’immobilise quelques dizaines de mètres plus loin. Le pousseur entrouvre la portière arrière et Son Excellence, implacablement soutenu par sa canne, y entre. La voiture diplomatique s’élance sous les rires des gens assis sur la terrasse de l’hôtel et, bientôt, se confond aux multiples véhicules en circulation.
Reste quelques questions. Des plus sensées aux plus cocasses : est-il convenable qu’un représentant d’un pays engrangeant des pétrodollars soit soumis à autant de misère?! Est-on obligé d’exporter nos incohérences vers des pays amis?! Si la voiture diplomatique ne peut démarrer que grâce aux collines, le Tchad pourra-t-il accréditer ses diplomates en pays de plaines ?! Le pousseur fait-il parti du personnel de l’Ambassade?! Et si oui, quel est son rang protocolaire? Suffit-il d’être Ambassadeur sur une colline de démarrage pour être au-dessus de la loi qui impose un format particulier aux plaques d’immatriculation ?! Nous serions infiniment reconnaissants au Ministre Allami de nous fournir, entre deux communiqués de presse vilipendant le régime de Khartoum, quelques débuts de réponses àces questions citoyennes.
D.D
Le Temps N°481 du 31 mai au 06 juin 2006