Comment faire pour sauver le Tchad? – Le Temps N°483 du 14 au 20 juin 2006

Le 13 avril dernier, le Tchad est devenu le centre du monde avec une fois de plus, le seul exploit qu’on lui connaît: La guerre et son malheur, la violence éternelle comme seul langage. Toutes les radios et les télévisions ont braqué leurs cameras. Comme en 1975, en 1979, en 1982 ou en 1990, 2006 allait être une nouvelle inconnue pour le peuple tchadien. C’est devenu un cycle : à cha­que décennie, les armes tonnent pour changer un régime. L’espérance moyenne d’un régime politique au Tchad est de dix ans. Ce jour là et comme toujours, la peur, les fuites massives, les morts, les prisonniers, les pillages, les destructions matérielles ont refait leur apparition. Encore et encore, on reprend à zéro le projet de croissance inachevé d’un pays qui refuse de devenir majeur et de se stabiliser comme les autres pays établis vers les années 1960 en Afrique.

Si en 1975 c’était l’ar­mée nationale qui renversa un régime civil dirigé par un dictateur, en 1979 le Frolinat qui arrivait au pou­voir avec ses diverses tendances politico-militaires et sa culture arabo-musulmane partagée par la grande majorité des nordistes. En 1982, de deux grands ensembles ré­gionaux. on revient aux groupes eth­niques. Les guerriers Goranes aidés de Hadjaraï et autres accédaient au pouvoir. En 1990 les Zaghawa op­primés, aidés encore des Hadjarai et autres renversaient les Gorane. En avril 2006 c’était des Tama; des Ouaddaiens, des Dadjo, des Arabes et autres opprimés qui, profitant d’une déchirure inter-Zaghawa, ont tenté de renverser et de prendre le pouvoir à un Bidéyat Biliat aban­donné des seins. Comme on le cons­tate, la nature des belligérants dif­fère d’une époque à une autre avec des conséquences très négatives et nuisibles pour l’unité et la stabilité du pays. Des grands ensembles et institutions, bien que boiteuses, on est arrivé à une guerre de succes­sions des clans et d’ethnies armées. Le plus fort gagne, tant pis pour ceux qu~ n’ont pas une culture guerrière ou qui ont fait le choix de la soumis­:ion. de la servitude ou qui n’ont pas encore réalisé que le Tchad n’est pas encore une République des citoyens régie par la loi, mais, c’est plutôt une République des ethnies, des clans, des tribus, des familles, des chefs de race. La vie, la sécurité, la réussite et la paix des individus que je refuse d’appeler citoyens, la ci­toyenneté à un sens et l’individu n’a d’existence au Tchad que par rapport à son groupe, dépend du rang­ qu’occupe leur groupe ethnique, l’ap­port de leur groupe et de leur allé­geance et soumission au pouvoir en place.

Les quelques moments de paix observée sont les résultats d’un jeu d’entente entre les groupes puis­sants et l’association des autres grou­pes asservis, à la répartition des ra­res ressources. A chaque fois que l’équilibre entre les puissants est rompu ou que les associés de  » l’en­treprise pouvoir  » réclament plus que l’argent, l’impunité, les privilè­ges et tentent de disputer à celui qui est au pouvoir le pouvoir, la guerre reprend. Les autres doivent subir. D’abord avec leurs enfants miséreux qui n’ont pas le choix que d’être des chairs à canon ; ensuite avec leur propre vie et leurs biens s’ils ont le malheur de se trouver à proximité du terrain de combat. Pour mieux se consoler, les Tchadiens se réfugient dans le fatalisme, dans les mosquées, les églises et s’adonnent à la prière sans aucune conviction réelle. On ne pense le plus souvent au Dieu tout puissant que dans les moments dif­ficiles ; les moments de peur ou de besoin de poste de responsabilité. Indifféremment de leur religion ou région, les impuissants défilent chez les marabouts, les prêtres et les féti­cheurs pour rechercher des solutions à leurs problèmes. Il semble que même ceux qui ont le pouvoir font recours à ce procédé qui est sensé résoudre les équations difficiles. Sur­tout s’ils ont à faire à une rébellion tenace et dangereuse. C’est à ces moments que les pauvres fêtent grâce aux aumônes et autres viandes de moutons de toutes les couleurs. Guerres, fatalisme, fétichisme, sou­mission des populations, prostitution politique, clochardisation des élites lâches, silence des lumières, misère, insécurité, des­truction du tissu social, impunité, fragilité de l’Etat, indifférence inter­nationale, pétrole, etc. La liste des malheurs est très longue. Pour tenter de résoudre ou de comprendre tous ces problèmes, cer­tains acteurs s’essaient dans l’ana­lyse et les recherches des approches.

La France ancienne puissance co­lonisatrice qui a une influence cer­taine dans la politique tchadienne, et qui fait l’objet de toutes les qua­lifications par les Tchadiens, est un des acteurs le plus cité qui agit le plus souvent dans le silence. Vien­nent ensuite les acteurs politiques, les politico-militaires, la presse, la société civile et les élites qui choi­sissent de discuter dans les salons ou dans les retrouvailles des jardins autour de l’alcool, des repas copieux et les bonnes compagnies.

L’action de la France

Il est peut être exagéré de parler d’action, pour le cas de la France mais il me semble qu’il n’y a pas d’autres qualificatifs pour désigner l’interven­tion des militaires français de l’opé­ration Epervier avec leur tir de  » sommation  » lors des évènements du 13 avril dernier. Mais il n’y pas que le tir, il y avait aussi ce besoin pressant de se justifier, d’expliquer, de convaincre, d’interpréter les ac­cords et autres conventions liant la France au Tchad. Toutes ces actions mettent la France au devant de la scène tchadienne et démontre à suf­fisance que le pays de Louis XIV reste encore maître du destin des peuples de l’Afrique de colonisation française. La France refuse de lais­ser les peuples « immatures  » choi­sir leur destin. Le langage est tou­jours paternaliste et réduisant même quand il est exprimé par la nouvelle classe des dirigeants français comme Sarkozy qui parle de « ma manière d’aimer les Africains, c’est de par­ler avec eux comme des gens intel­ligents et responsables. « La logique de la Démocratie qui est un luxe pour l’Afrique ou pour certains pays africains « , comme l’avait affirmé un jour un homme politique français im­portant, reste toujours d’actualité dans les fonds secrets de ceux qui décident de notre destinée à Paris. La situation est différente d’un pays à un autre.

Si au Togo on a fait un arrange­ment électoral après le coup d’état –succession au pouvoir pour stabiliser le pays, au Bénin, au Mali, au Niger et au Sénégal, les choses se passent au mieux avec tout de même l’éternelle question de la Casamance au Sénégal et des Touaregs pour le Mali et le Niger; au Tchad le pro­blème est tout à fait différent. Le Tchad n’a jamais connu de stabilité suffisante pour construire comme ailleurs l’Etat et la République pro­clamée depuis 1958. Il n’existe aucun repère solide permettant l’espoir. Il n’y a ni armée nationale, ni adminis­tration, ni sentiment national, ni toute autre valeur commune qui pour­rait mobiliser les Tchadiens. Le pays est toujours resté comme en 1916 le territoire militaire des pays et pro­tectorats du Tchad. Ce n’est pas comme pour les autres pays afri­cains, la cellule africaine de l’Élysée qui gère la politique tchadienne de la France, mais c’est plutôt le bureau de renseignement militaire de l’Etat major de l’armée française qui im­pulse et conseille sur ce qu’il con­vient d’appliquer au Tchad. La ques­tion militaire, la question des guer­riers, des ethnies, des religions, des régions et des tribus et autres familles belliqueuses sont les ingrédients qui composent la sauce tchadienne. Dé­sormais et ce depuis au moins 1978, on a commencé à nous identifier of­ficiellement par nos ethnies. Des Sudistes et Nordistes, musulman­ chrétien on est arrivé à Gorane, Sara, Arabes, Hadjaraï, Zaghawa etc. Et aujourd’hui on est entré dans les sous-clans et les familles.

Paris agit selon les rapports de force en présence. Qui est fort sur le terrain ? Quelle est l’ethnie qui do­mine militairement? Ou qui domine tout court pour simplifier les cho­ses ? Pour la situation actuelle, c’est l’évaluation des forces guerrières en présence qui guident les actions de la France conseillée par ses services militaires. Les Tchadiens ou du moins ceux qui sont sensés compren­dre les choses compliqués doivent réfléchir sur le rôle de la France et sa position en avril dernier.

La France a toujours connu une position constante. La stabilité du riche territoire militaire du Tchad dans l’intérêt de la France en agis­sant en fonction des forces en pré­sence. Elle n’a aucune préférence pour les ethnies et clans du Tchad. Elle a sa logique guidée par ses inté­rêts. Ce qui est au demeurant nor­mal. Les Etats n’ont pas d’amis, ils ont des intérêts. Ceux qui ne l’ont pas compris ont payé. Habré ne dira pas le contraire.

Ahmat Mahamat Hassan (Juriste et doyen de la faculté de droit de l’Université Adam Barka d’Abéché)
Le Temps N°483 du 14 au 20 juin 2006


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