Le Tchad a aussi ses Djandjawids – Le Temps N°498 du 8 au 14 novembre 2006

Incroyable mais vrai, à l’exemple des Djandjawids soudanais qui s’attaquent aux populations non arabes du Darfour, les arabes tchadiens prennent pour cible les tribus non Arabes à l’est du Tchad. Résultats : des personnes déplacées et terrorisées, des champs et des récoltes abandonnés. Les Arabes tchadiens miment ceux du Darfour et mettent à mal une cohésion légen­daire avec les populations non arabes sédentaires. Ces révélations ont été faites dans un article sous la plume de la journaliste Lydia Polgreen du célèbre journal américain, The New York Times dans sa parution du 31 octobre 2006.

Les Arabes tcha­diens sont tenus responsables des attaques contre les populations non arabes. « Ils criaient Zurga» » elle disait, un mot en arabe, désignant noir qui véhi­cule une connotation raciale in­sultante. « Ils nous disaient, ils prendraient notre terre. Ils ont abattu beaucoup de gens et brûlé nos maisons. Nous avons tous fui ». Des scènes comme cel­les-ci ont été rapportées dans la région de Darfour ravagée depuis plus de trois ans, et depuis le dé­but de cette année, les Arabes soudanais attaquaient aussi des villages tchadiens jouxtant la fron­tière poreuse avec le Soudan. Mais les attaques contre Djedidah et neuf autres villages environ­nants au début du mois d’octo­bre avaient eu lieu non pas au Darfour ni à la violente frontière avec le Soudan. Ces attaques ont eu lieu relativement à l’intérieur du Tchad environ 50 kilomètres de la frontière, à une grande dis­tance d’une localité ayant peu de routes, où la plupart de voyages se font à cheval ou à dos d’âne ou encore à pied. Au-delà de ça, l’attaque a été perpétrée non pas par des assaillants soudanais, mais par des Arabes tchadiens, selon les victimes de l’attaque. « Ils étaient nos voisins », disait madame Shérif, tout en étant pressé de rassembler les quel­ques chèvres restant de sa fa­mille. « Nous les connaissons. Ils sont des Tchadiens ». La violence du Darfour s’étend en territoire tchadien depuis le début de cette année, lorsque des attaques transfrontières menées par des bandits et milice soudanais avaient chassé plus de 50.000 Tchadiens de leurs habitations dans des villages tout au long de la frontière. Mais la violence autour de l’un des villages à l’in­térieur qui a été attaqué, KouKou, est différent et inquiétant, rap­portent les agences humanitaires et les commentateurs. Il semble que ces attaques ont été menées par des Arabes tcha­diens contre des villages non arabes au Tchad, et apparem­ment, elles ont été inspirées par des campagnes similaires de violence menées par des Arabes soudanais au Soudan.

Les villages sont ­d’abord habités par des cultivateurs de tribu Dajo. « Ceci n’est pas un conflit transfrontalier – c’est un conflit interethnique local » disait Musonda Shikinda, le responsa­ble du bureau de l’agence des Na­tions Unies pour les réfugiés dans la localité. « Les auteurs sont leurs voisins, ce ne sont pas des personnes venues d’ailleurs. «  Environ 3000 personnes ont fui leurs habitations à cause des ré­centes attaques, et environ 100 personnes ont été tuées, selon les responsables des Nations Unies. Les descriptions des atta­ques faites par des personnes dé­placées, la plupart parmi elles vi­vant dans des habitations d’in­fortune autour de Koukou, sont visiblement similaires à celles fai­tes par les populations réfugiées non Arabes du darfour concernant des attaques contre leurs vil­lages menées par des Arabes du Darfour. Yusuf Adif, un paysan de Djedidah, âgé de 29 ans, disait qu’il entendait des coups de feu alors qu’il récoltait son champ au début du mois d’octobre. Mon­sieur Adif était près avec un groupe d’hommes d’autres villa­ges pour combattre les as­saillants. Armés des fusils tradi­tionnels – des lances aux lames fourchues, des arcs aux flèches empoisonnées- les hommes cou­raient vers les lieux des coups de feu. Mais aussitôt, ils ont fui lors­qu’ils avaient vu une douzaine d’hommes à cheval armés de fu­sils automatiques. Quelques uns portaient des longs habits blancs, comme presque tous les musulmans ici font tandis que d’autres étaient habillés en uni­forme kaki d’une milice dont il ne pouvait pas identifier, monsieur Adif disait. Abdel Karim Gamer, le cheikh de Djimese, un village voisin, disait que 20 personnes avaient été tuées dans l’attaque, parmi elles des fem­mes et des en­fants. Cinq femmes ont été enlevées, disait-il, et il redoutait qu’elles aient été vio­lées comme la plupart des fem­mes au Darfour qui ont été vio­lées. « Ce sont Arabes que nous connaissons » disait-il alors qu’il était resté assis sur une natte près de la maison d’infortune où lui et sa famille vivaient depuis deux se­maines. « Nous faisions des échanges commerciaux les uns avec les autres, nous dépendions les autres sur les autres. Nous n’avions jamais eu de problèmes dans le passé. «  Des identités ra­ciales et ethniques sont des con­cepts complexes dans cette ré­gion. Les termes arabes, Africains ou noirs sont souvent employés.

Historiquement, les divisions raciales ont été largement insigni­fiantes dans les zones arides du Darfour et à l’Est du Tchad, mais l’idéologie raciale, suscitée au sein des Arabes nomades sans terre au Darfour contre les culti­vateurs non arabes dans les an­nées 1980, avait jeté les bases du tragique et triste du conflit actuel concernant la terre, les ressour­ces et les identités au Darfour. La composition ethnique à l’Est du Tchad est similaire à celle du Dar­four. La frontière entre le Tchad et le Soudan a pratiquement peu de signification pour les villa­geois qui y vivent, font des échanges commerciaux et se ma­rient à travers la frontière, et dont les familles et tribus souvent se trouvent entre le Tchad et le Sou­dan. La récente violence provo­que ici des inquiétudes selon les­quelles les troubles du Darfour pouvait mettre le feu au conflit frontalier entre les tribus arabes nomades et la plupart des autres tribus sédentaires non arabes à travers cette large partie de la ré­gion au Sud du Sahara. Si le con­flit racial et ethnique qui a infecté le Darfour est entrain d’être copié par les Arabes tchadiens, alors la violence embrassant les frontiè­res au-delà du Darfour pouvaient annoncer davantage de conflit régional, disait David Buchbinder, un chercheur de Human Rights Watch spécialiste du Tchad. « L’idéologie raciale est entrain de s’étendre, et ceci est très dangereux » a dit M. Da­vid Buchbinder. Zachariah Ismael, qui avait fui Ambash, un des villages qui avait été attaqué; avec sa femme et six enfants, dé­crivait le conflit à la frontière « maintenant, il nous est arrivé aussi. » Il était en train de cons­truire un abri beaucoup plus grand et plus solide pour rempla­cer celui qu’il avait construit lors­qu’ils étaient arrivés il y a deux semaines plus tôt. Sa moisson de maïs et de sorgho devrait être bien­tôt récoltée, il désespérait de pouvoir aller dans son champ si­tué à une demie journée de mar­che. « Je pense que nous serons ici pour longtemps » disait-il. « Nous ne pouvons pas rentrer chez nous « .

Traduit de l’anglais par Abba Ngolo Moustapha
Le Temps N°498 du 8 au 14 novembre 2006


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