L’Armée Nationale perd son chef: L’Observateur N° 371 du 5 avril 2006

Le général Abakar Youssouf Itno, Chef d’Etat Major de l’Armée Tchadienne est tombé sur le champ de bataille le 30 mars dernier. Grièvement blessé lors des combats qui ont opposé les forces Armées tchadiennes et les rebelles du Rassemblement Démocratique pour la Liberté (RDL), il est mort des suites de ses blessures. La mort de ce chef militaire est durement ressentie dans l’Armée.

Le général Abakar Youssouf avait récemment été porté en triomphe après les combats du 20 et 21 mars dernier à Hadjer Marfaïn. C’est lui qui aurait mené les opérations pour déloger les rebelles du SCUD de ces massifs rocailleux. Youssouf Itno n’est personne d’autre que le fils de l’ancien ministre de l’Intérieur de Habré, Brahim Itno, tué par ce dernier alors que la rébellion du 1er avril se mettait en place. La mort de ce jeune chef de guerre est aujourd’hui doublement ressenti par le PR qui perd d’abord en lui un neveu puis un de ses derniers boucliers, car dans le clan, rares sont encore les fidèles. La plupart d’entre eux, sont partis dans la vague successive de désertions/défections, avec armes et bagages pour se retrancher dans les zones montagneuses frontalières du Soudan. Ce sont eux, qui animent aujourd’hui ces foyers de tension. Cette perte est également un coup dur pour le président Déby Itno qui, à un mois des présidentielles voudrait faire place nette militairement avant cette échéance. Et pourtant le chef de l’Etat avait rassuré l’opinion nationale et internationale à son retour du front de Hadjer Marfaïn. Il avait déclaré avoir pacifié une fois pour tout le pays. « Je dis que c’est la fin de toutes les aventures. Nous avons toute la maîtrise de la situation ».

L’on a trop tôt crié victoire

Malheureusement, ces derniers évènements viennent nous montrer que le pouvoir a trop tôt chanté victoire. La preuve, les combats ont repris aussitôt après cette déclaration. Pour s’en défendre, le gouvernement accuse les milices Djandjawids et le Soudan qui soutiendraient les rebelles. Selon le communiqué du gouvernement, « les Djandjawid, appuyés par des « mercenaires », ont attaqué dans la matinée du jeudi 30 mars, la localité de Moudéhina. L’Armée nationale tchadienne a vaillamment repoussé l’agression qui constitue une violation flagrante par le pouvoir de Khartoum des accords de Tripoli du 8 février dernier 2006 « . Ce que réfute l’ancien préfet d’Iriba, Issa Moussa, actuel Conseiller du président du RDL « Nous étions sur le territoire tchadien depuis trois semaines. L’Armée tchadienne nous a attaqués sur nos positions et nous les avons mis en déroute ». Dans un communiqué de presse daté de Paris et parvenu à notre rédaction, Laona Gong Raoul, représentant Extérieur et Porte parole du FUCD donne pour sa part le bilan suivant: « sur le plan matérielles forces du changement ont récupéré 2 chars et en ont détruit 1. 28 Toyota ont été saisies. Nous comptabilisons plusieurs centaines de prisonniers dont la liste complète sera portée à votre connaissance dans les prochaines heures ». Le communiqué souligne d’autre part: « En déplorant ces pertes inutiles pour le Tchad, le FUCD en appelle à la mobilisation citoyenne des tchadiens pour mettre hors d’état de nuire le dictateur Déby et demande aux éléments de l’Armée tchadienne de cesser de servir de chair à canon au prédateur et de rejoindre le camp du salut national ».

Et le rôle de la France?

Il faut reconnaître que depuis le déclenchement de ces hostilités nous assistons à une guerre de communiqués où chacun se donne le bon rôle et tire sur lui la couverture. Néanmoins, de ces derniers combats, il ressort de sources sûres qu’ils ont été d’une rare violence. Un millier de soldats tchadiens et autant du côté adverse se sont affrontés dans un combat sans merci. De la violence de ces combats l’on peut en juger par les nombreux blessés évacués sur N’Djaména.

Mais si le gouvernement de N’Ndjamena ne cesse d’accuser le Soudan d’aider et d’abriter les rebelles, ces derniers quant à eux dénoncent l’activisme des éléments français de l’opération Epervier qui offrent un appui logistique déterminant à l’Armée Tchadienne dans ces opérations. Ainsi, selon l’AFP, « Un responsable gouvernemental tchadien a confirmé que l’Armée avait pris cette « initiative » après avoir obtenu des renseignements faisant état d’une concertation de rebelles sur le territoire tchadien « L’Armée a pris les devant en les poursuivant mais elle est tombée dans une embuscade », a-t-il ajouté sous couvert de l’anonymat.

Ceci nous amène à nous interroger sur le rôle assez ambigu du dispositif français au Tchad. A cette interrogation, nous pouvons avoir quelques éléments de réponse dans les colonnes du quotidien français Le Monde du 31 mars dernier: « Si d’aventure le président Déby devait être menacé à N’Djaména, la France « ne s’opposerait pas à une tentative de coup d’Etat » assure un haut responsable militaire, qui précise que Paris se contenterait d’assurer la sécurité des 3000 ressortissants français et étrangers présents au Tchad. Un simple accord militaire lie Paris à N’Djaména. La France n’a des accords de défense (impliquant une aide militaire en cas d’agression extérieure) qu’avec huit pays: notamment le Cameroun, la Côte d’Ivoire, le Gabon, le Togo, la Centrafrique, le Quatar, les Emirats Arabes Unis et le Sénégal. La pré¬sence française au Tchad, indique-t-on de cette même source résulte de la « demande du gouvernement tchadien » et de la nécessité de garantir « la sécurité d’un pays qui n’a pas les moyens de l’as¬surer et aussi parce que l’implication de la Libye dans la région reste troublante ». Fin de citation

Le risque de l’engrenage

La violence appelant la violence, nous avons bien peur que le pays ne sombre dans l’engrenage d’une guerre longue, coûteuse, controversée et douloureuse pour le peuple tchadien. Comme le réclament les partis politiques et la société civile; pour éviter au peuple tchadien une autre tragédie, il serait sage de taire les armes et de se mettre autour d’une table pour discuter de l’avenir du pays. Car avec l’insécurité grandissante et les foyers de rébellions de plus en plus actifs, c’est une fuite en avant que de vouloir coûte que coûte aller aux élections.

Samory Ngaradoumbé
L’Observateur N° 371 du 5 avril 2006


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