Déby tue Itno: NOTRE TEMPS N°253 du 4 avril 2006
Lundi 20 mars 2006. Hadjar Marfaine, l’antre des hyènes, comprenez le repaire des brigands. Près de la frontière soudanaise à 100 km de Adré. Les rebelles du Rdl retranchés dans un cirque de montagnes sont surpris en plein milieu de la journée. Canonnades et tirs nourris des forces offensives de l’Ant appuyées par des hélicoptères de combat. Six heures d’enfer, de carnage, de fumée et de sang. Les combats sont meurtriers. Mais si on déplore des dizaines de morts, aucun chiffre sérieux et précis n’est avancé. Qui a tué qui ? Des Tchadiens ont tué des Tchadiens. Des fils de l’Est ont tué des fils de l’Est. Tama contre Zaghawa? Zaghawa contre Zaghawa? Pourquoi ? Pour qui? Et pourtant, Idriss Déby Itno jubile. « C’est la fin de toutes les aventures ».
Jeudi 30 mars 2006, Moudeina, toujours à l’Est du Tchad, à 100 km de Adré. De violents combats de plusieurs heures opposent les forces rebelles, sous la bannière cette fois du Fuc (le Front uni pour lé changement) et un contingent de l’Ant. On parle de plusieurs dizaines de morts et de blessés et d’énormes pertes matérielles. De part et d’autre. Qui a tué qui? Des Tchadiens ont tué des Tchadiens. Des Tchadiens de l’Est ont tué des Tchadiens de l’Est. Des parents de Déby se sont entre-tués. Pourquoi? Pour qui? Cette fois Déby ne jubile plus. Dans ce combat il a perdu deux neveux: le commandant d’opération de l’armée nationale, le Com Ops, Bahar Sinine et le général Abakar Mahamat Youssouf Itno. Le coup est dur, trop dur. Idi se tait… Se sentirait-il enfin coupable de quelque chose?
Depuis qu’avec la complicité étroite du Mps et de la majorité mécanique de l’Assemblée nationale, Idriss Déby Itno a décidé de modifier les dispositions de la Constitution pour briguer un troisième mandat devant lui ouvrir la voie à une dynastie du type Eyadéma, il est allé de déboires en déboires. Six coups d’Etat en douze mois, soit une moyenne de deux coups d’Etat par trimestre, ont fini par ébranler l’apparente cuirasse de solidarité ethnique tissée par Idi autour de son clan.
L’on ne comprend d’ailleurs pas, cette obstination de Idi à vouloir s’opposer à tout le monde: les partis de l’opposition démocratique, les politico-militaires, la société civile, bref les Tchadiens, ceux des autres communautés qu’il a régulièrement agressées, humiliées, décimées, ceux des clans alliés du Bet dont il a anéanti les espoirs en tuant leurs leaders: Youssouf Togoïmi, Gueti, Kotti, Bada … et maintenant son épée se retourne contre son propre clan, ses propres frères, ses neveux! Car l’épée, les armes qui ont tué Bahar Sinine et Abakar Itno ne les auraient jamais abattus si Déby ne s’était pas obstiné à s’accrocher au pouvoir à tout prix contre la volonté de tous.
De tous? Il faut nuancer. Déby écoute, obéit, suit même attentivement les instructions d’une certaine France; la France des anachronismes françafricains ; la France de Chirac, ce président, ami et faiseur de dictateurs africains qui ne se lasse pas de leur serrer la main, de les embrasser et de les féliciter lors qu’ils viennent de commettre des hauts faits criminels. Nguesso, Faure Eyadéma, des sanguinaires parmi d’autres qui ont bénéficié de l’attention particulière de l’ami, du frère Chirac. Déby appartient à cet étroit club de la main néocolonialiste de l’Elysée. N’a-t-il pas reçu tour à tour Dhoust-Blazy et Michel Alliot-Marie venus lui témoigner du soutien indéfectible de Chirac? N’a-t-il pas régulièrement, auprès de lui, pour le consoler ou pour l’encourager dans ses dérives tyranniques, un certain Jean Pierre Berçot? « Ma mission au Tchad est de soutenir Déby » aurait-il déclaré à un homme politique. Les Tchadiens en ont pris acte depuis qu’ils l’ont vu à l’œuvre. Déclarations et attitudes offensantes et provocantes caractérisent cet homme à qui il manque un casque colonial, des bottes et un tipoye pour se sentir réellement dans sa peau face aux Africains qu’il déteste. A force de l’écouter, Déby a fini par tuer ses neveux… Quelle triste histoire!
Editorial de Nadjikimo Bénoudjita
NOTRE TEMPS N°253 du 4 avril 2006