L’horreur du 13 avril – Notre Temps N°255 du 18 au 24 avril 2006

N’Djamena 13 avril. Dès les premières heures de la journée, la population est réveillée bar des tirs nourris d’armes lourdes et automatiques. La confusion se crée dans les esprits. La panique s’installe et gagne très vite toute la capitale.

Déjà la veille, les rumeurs courent dans la ville. Des rumeurs diffuses faisant état de l’avancée des rebelles sur N’Djamena. Beaucoup revoient subitement les films des événements de 79, 82 et 90. Des souvenirs sombres et tristes.
Les premiers coups de feu retenti aux environs de 5 heures du matin.

Presque tout le monde est devant la maison. Les lève-tards sont bien obligés d’écourter leur sommeil. Ceux qui n’ont pas des postes récepteurs accourent vers leurs voisins pour suivre les nouvelles sur Rfi. Les déflagrations et canonnades deviennent de plus en plus intensives et font monter d’un cran, la frayeur générale. Vers Gassi la sortie sud-est de N’Djamena et Gaoui la sortie nord-est les tirs et des explosions deviennent intensifs. On pouvait apercevoir des fumées dans le ciel ainsi que des mouvements de troupes sur les théâtres des opérations. Falmata Abdoulaye habitant le quartier Ndjari, effrayée, ne sait où aller avec ses enfants « mes enfants et moi n’avions pas pu prier ce matin à cause des tirs. Mon mari est en voyage. Je ne sais que faire de mes enfants.  » se lamente-t-elle. Tout à coté de Falmata, Aché Ousmane s’active à attacher ses ustensiles en vue de quitter sa maison. On signale par ailleurs que des dignitaires du régime à bord des grosses cylindrées ont déjà enjambé le Chari pour se retrouver dans la localité Camerounaise de Kousseri. Des diplomates, des corps constitués auraient emprunté la même trajectoire.

Dans les rues, les mouvements de troupe se font de plus en plus intense. Beaucoup de personnes pensent déjà à la chute régime de Déby. Certains militants du Mps qui ont érigé leurs domiciles en bureau de campagne commencent par enlever les effigies du parti, plantées devant leurs « domicile-bureau » de campagne.  » Est-il encore là ? N’est-il pas sorti ?  » demande un vieil homme en djellaba, à un groupe de jeunes attroupés autour d’un poste radio, sur la voie de contournement à Chagoua.  » Non, il est encore là. II dit qu’il va se battre  » répond un jeune. Le vieil homme secoue négativement la tête, se mord l’index avant d’ajouter:  » tout ça c’est pour tuer les enfants des pauvres « .  » il va partir. II parle en tant qu’un homme. Qui sait s’il parle même de l’extérieur du pays  » coupe tout court, un autre jeune.

A mesure que le temps passe, les détonations d’armes lourdes et les crachotements d’armes légères se font entendre, vers le Palais du 15 janvier où les forces loyalistes sont au corps à corps avec les rebelles. Quelques véhicules rebelles arrivent à s’infiltrer dans la ville. Certains, à pieds, investissent quelques quartiers. On peut les reconnaître à travers leurs tenues et leurs cheveux hirsutes, mais aussi à travers leurs fanions blancs attachés aux bras. Aux alentours du grand marché de N’Djamena deux véhicules rebelles stationnent et demandent à la population, la direction de l’aéroport et la Présidence. Quelques minutes après, les forces gouvernementales les surprennent. Ce fut le carnage dans merci. Quelques corps gisent sur le sol.

Plusieurs combattants des deux parties sont tombés pendant les affrontements. Pas facile d’avoir une idée exacte du nombre. Les accrochages qui ont eu lieu dans les banlieues Est de N’Djamena ont également fait plusieurs morts.
Dans la journée, les tirs baissent d’intensité. Les déclarations du Gouvernement et des forces rebelles sont paradoxalement opposées. Sur les ondes delà Rfi, le Gouvernement avoue avoir détruit toutes les colonnes des rebelles. De leur côté, les rebelles affirment avoir fait un repli tactique pour entrer à N’Djamena plus tard. Ces déclarations laissent toujours perplexes les habitants de la capitale.

Difficile d’avoir un bilan exact. Mais il est lourd, selon des sources humanitaires, les affrontements ont fait environ 500 victimes toutes catégories confondues. Dépassées par les événements, les autorités ont procédé à des enterrements dans des fausses communes, dans les faubourgs de Bouta Al Bagar sur le site Sao, où des violents combats ont eu lieu.
Au nord de la ville où les combats se sont accentués, les obus ont tué plusieurs civils, à leurs domiciles. C’est le cas d’un père de famille au quartier Diguel, qui a perdu coup sur coup deux de ses rejetons fauchés par un obus tombé dans la maison. Les deux gamins sont décapités sur le champ.

Au quartier Habbena, les assaillants connaissent une panne sèche. Ils abandonnent leur véhicule, une Toyota minée sur la rue. Des jeunes du quartier s’approchent pour le pillage. Soudain une violente explosion retentit : huit jeunes perdent la vie. Une vingtaine d’autres sont blessés.

Dans l’après midi, quelques habitants des quartiers Mbata, Boutal Bagar quittent leurs quartiers pour rejoindre leurs parents vers Moursal, Chagoua…où ils espèrent avoir un refuge fut-il temporaire.

A l’Hôpital général de référence nationale, l’horreur est à son comble. Alors que nous nous approchons de la morgue, une odeur pestilentielle et suffoquante nous envahit. A l’intérieur, le spectacle est intenable. Des corps éventrés, des crânes écrabouillés, des yeux exorbités, des membres sectionnés, des corps superposés…. Les tenues maculées de sang. Ce sont là des militaires rebelles pour la plupart, tombés sur le champs de combat. Quelques corps sont en état de décomposition.
Le pavillon des urgences de leur côté ne cessent d’enregistrer des cas de blessés. Les infirmiers sont submergés. Pour être à la hauteur du travail, ils ont dû demander les coups de main d’autres infirmiers du quartier « c’est très dur de travailler dans ces conditions. Nous avons fait appel aux infirmiers du quartier et des secouristes pour nous épauler  » déclare Boukar Lama, chef d’équipe numéro 1 du Pavillon d’urgence.

Médecin sans frontière, en collaboration avec la Croix rouge du Tchad, s’occupe des blessés. Plusieurs tentes sont installées dans les locaux de l’Hôpital général de référence nationale (Hgrn).

Darna Sylvain
Notre Temps N°255 du 18 au 24 avril 2006


Commentaires sur facebook