EDITORIAL – NOTRE TEMPS N° 255 du 18 au 24 avril 2006

Au delà du ridicule

Près de 400 morts dont 370 côté assaillants du Front Uni pour le Changement Démocratique, le FUC et 30 chez les loyalistes. Voilà le bilan officiel des violents combats, qui ont opposé, jeudi 13 avril 2006 les rebelles du capitaine Mahamat Nour aux hommes de l’ANT restés fidèles à Idriss Déby Itno. Des morts civils, des femmes, des enfants, des dégâts matériels collatéraux: automobiles calcinées, maisons détruites, etc, aucun mot.

Et pourtant, il y en a eu, des dizaines, des centaines peut être de morts civils qu’il faut ajouter à ceux d`Adré et dont on peut tirer un bilan global de pas moins d’un millier d’êtres humains, de jeunes gens, en particulier, arrachés à leur avenir, ces enfants, beaucoup, recrutés de force, morts pour une seule et unique raison: la cupidité d’un homme et son obstination à rester à un pouvoir que tout le Tchad lui conteste. Cette soif, cette avide, méprisante et insolente volonté de dominer, pour s’enrichir et humilier la majorité des Tchadiens au quotidien et en faire des parias d’une société’ Tchadienne aux disparités sociales et économiques énormes, ne souffre plus la moindre pudeur, le moindre respect de la dignité humaine, ne serait-ce que pour les convenances. On exhibe les corps calcinés, mutinés, boudinés à un spectacle charognard et triomphaliste. On se moque des victimes dont on dit qu’ils sont seuls responsables de ce qui leur arrive. De la douleur vive des blessés qui attendent à être soignés, on se moque. Au chagrin des veuves et des orphelins encore oppressant on affiche aucune complaisance, aucune pitié.

Ce qui vient de se passer, le minimum de 1000 personnes qui restent à être dénombrés et qui militaires mais ami civils sont tombés, morts définitivement au bout de quelques heures de combat à Adré et à N’Djaména, sont des enfants de Tchadiens. Ce sont des fils, des filles, des pères et des mères du Tchad. Les centaines de milliers de personnes dont les biens ont été détruits, qui ont fui tes zones de combats apparemment plus violents à Adré qu’à N’Djaména pour être plus de 400.000 à se rendre au Soudan, sont tous des Tchadiens en détresse. Ce qui s’est passé le jeudi 13 avril est une catastrophe. Une grande catastrophe humaine et nationale et mérite, des autorités, une attitude de respect des morts et de secours aux sinistrés. Un deuil national aurait dû être décrété. Au lieu de tout cela, c’est à un triomphalisme outrageant qu’on assiste. Les kiosques des partis politiques en course pour les élections sont à nouveau ouverts à N’Djaména. Des bus loués à tour de bras et frappés des effigies du MPS et du candidat Déby sillonnent les rues avec à bord, les adolescents qui scandent des slogans et des youyous favorables à IDl ou à quelques uns de ses « adversaires faire valoir ». Du cirque vraiment malvenu après ce qui s’est passé. Ou, plutôt, la poursuite implacable d’une logique qui ne recule devant aucun obstacle même celui du scandale ou du ridicule. Comme si on avait peur d’une chose, comme si reporter les élections pour quelques semaines, pour quelques mois révélerait quelques situations cocasses. Mais; franchement, cette campagne électorale qui ne devrait durer qu’un mois a-t-il jamais pu s’être réalisée alors qu’on est déjà presque à la fin de la période électorale ? Le sud, le sud-est, !e centre, l’est et N’Djaména, théâtres d’une instabilité permanente due aux incursions rebelles, aux combats et aux mouvements intenses de troupes en déplacements, mais aussi zones les plus peuplées du Tchad présentent-ils les conditions minimales d’une campagne électorale ? Et pourtant, malgré toutes ces incohérences, la campagne électorale « bat son plein » ; les élections seront organisées « sur l’ensemble du territoire », les observateurs étrangers, ceux des Nations Unies, de l’Union Européenne, de l’Union Africaine, n’y trouveront rien à redire, puisqu’elles se seront déroulées dans des « conditions de compétitions transparentes ». Déby l’emportera avec 70% des voix au premier tour. La France sera la première puissance à féliciter ldriss Déby et tout reprendra comme le veut la France, comme le veulent Déby et le MPS. Au Tchad, berceau du ridicule et de l’ignominie, la honte ne tue pas, même pas les Occidentaux.

Nadjikimo Bénoudjita
NOTRE TEMPS N° 255 du 18 au 24 avril 2006


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