Le dialogue des uns et des autres – Notre Temps N° 259 du 04 au 10 juillet 2006
Le 25 mai 2005, le Comité de suivi de l’appel à la paix et à la réconciliation lance sa caravane composée de cyclistes, motocyclistes et automobilistes à travers les grandes artères de N’Djaména. Ce sont 2000 personnes, représentants d’une centaine de mouvements et organisations politiques, de la société civile et des milieux religieux qui s’ébranlent ainsi dans la cité arborant des bandeaux ou brassards blancs, symboles de la paix, criant et chantant leur appel pour un Tchad pacifique et sécurisé.
Cette manifestation, une première a N’Djaména et au Tchad est la réponse à l’appel des ADH qui ont initié la création de ce comité et la traduction d’une attente profonde de l’ensemble des populations tchadiennes lasses de la logique prédominante et prédatrice de la guerre et de l’insécurité, institutionnalisées par un système politique de chefs de guerre.
Le dialogue de toutes les sensibilités politiques et de la société civile, le comité de suivi de l’appel à la paix l’a réclamé avant cette caravane dans un forum organisé au Cefod, quelques mois auparavant. Tout le monde ou presque avait répondu présent. Presque parce que ni le Mps, ni le gouvernement tchadien n’y étaient. Pourquoi ? Parce que I DI se sentait au sommet de sa puissance. Il venait de liquider ses principaux opposants du BET qu’étaient Togoïmi et Guetty. Il a pu mesurer les limites de la résistance et de la combativité des opposants politiques et de la société civile en humiliant la bande des quatre (Kamougué, Kebzabo, Alingué et Kassiré) jetés dans la carrosserie d’une camionnette puis coffrés au lendemain de 20 mai et en liquidant physiquement Guelgué, le jeune militant politique de l’opposition ou en dispersant violemment une manifestation pacifique des femmes devant l’ambassade de France le 11 juin 2001. Tout cela s’étant fait sans une quelconque réelle opposition, contestation ou réaction des Tchadiens. Idriss Déby Itno imaginait qu’il avait le monde à ses pieds et que plus aucun obstacle ne surgirait devant sa puissance. Le rais était d’autant plus conforté dans ce sentiment d’omnipotence que le pétrole devait bientôt jaillir des puits de Komé pour le pipe line de Kribi, faisant de lui un puissant émir à l’image de ceux du Golf. Tout baignait donc et aucune raison ne pouvait justifier un quelconque dialogue avec une opposition affaiblie. C’était, malheureusement, compter sans le Darfour. En effet, la rébellion au sein de cette « province de l’ouest du Soudan ou vit la majorité des membres du dan Zaghawa au pouvoir au Tchad, tout en drainant de fortes sommes d’argent, du matériel militaire et des hommes, une hémorragie financière certaine, a été l’une des principales causes de la déstabilisation du système Déby, axé essentiellement sur l’hégémonie terroriste de son clan sur le reste des Tchadiens. Aux départs massifs avec armes bagages et munitions ont succédé au cours des années 2004-2005 et 2006 des crises graves qui ont fait voler en éclats l’édifice clanique savamment mis en place par IDI. Mutineries et coups d’Etat se sont succédés au point que IDI, un général d’armée, n’eut plus d’armée et qu’une colonne de quelques Toyotas, avec une cinquantaine d’hommes du Fucd faillit mettre fin à son régime le 13 avril, quelques semaines seulement avant les élections du 03 mai. Sauvé par la main protectrice de l’Hexagone et chauffé à blanc par l’outrecuidance de ses ennemis, frères d’hier, le chef de guerre qui dort en Déby sur le conseil de la France refuse la proposition faite par l’opposition, la société civile, l’Union africaine et les Etats-Unis de renoncer aux élections et d’aller au dialogue, préférant l’épreuve décevante d’une élection gagnée en fraudant malgré une très forte démobilisation de l’électorat. Le dialogue après la victoire aux élections, avait conseillé la France. La victoire acquise, Déby réclame le dialogue. Sans l’opposition armée. Pourquoi ? Parce que, dans l’acceptation de IDI et conformément à une logique culturelle, le pouvoir n’est pas une affaire de dialogue. On l’arrache par la force et on impose ses volontés aux vaincus. Le dialogue est bon pour les femmes et les faibles. C’est pourquoi, s’il l’accepte c’est pour satisfaire la galerie, faire quelques concessions superficielles aux adversaires et s’asseoir dessus tout en sachant qu’il ne les respectera pas. Face aux politico-militaires, des hommes, des guerriers comme lui, Déby a sa stratégie habituelle: acheter leur obédience à défaut de pouvoir les vaincre. Le cas échéant, c’est la même reconfiguration dichotomique Nord -Sud autour du cercle clanique qui va se reproduire.
Mais visiblerrient, même les politico-militaires ne veulent plus de cette réconciliation achetée. Eux aussi voudraient du dialogue. Ce qui amène donc à réfléchir sérieusement sur le contenu de ce fameux dialogue.
Néanmoins, disons d’abord un mot de ceux qui seront autour de la table ronde et de l’éventuelle forme que devrait prendre ce dialogue. En effet, si l’opposition politique dite démocratique paraissait affaiblie, force est de constater que la CPDC, cette coordination qui regroupe les grosses pointures de l’opposition démocratique représente, désormais, une force réelle avec laquelle il faut compter. A contrario, Déby, malgré la valetaille du MPS, est un homme seul. Sa véritable force, son clan étant disloqué. Tout le pouvoir de Déby repose sur les épaules de la France. Aussi, avec qui, les opposants qu’ils soient tout simplement politiques ou politico-militaires et la société civile discuteront-ils ? Avec la France ou avec Déby ? C’est un point important à clarifier.
Deuxièmement de quel dialogue s’agira t-il ? Du type Ivoirien, Togolais ou Sud Africain? Déby acceptera-t-il, dans une transition qui devra mettre fin à son régime, à ses côtés un premier ministre plénipotentiaire donc neutralisant à l’ivoirienne ou comme Habré sous Malloum ? Les opposants politiques se contenteront-ils des assurances et promesses de la communauté internationale pour des « élections législatives transparentes » aux fins d’un contrôle hypothétique de l’assemblée nationale par la dite opposition (schéma Togolais) ? Ou bien serait-ce une sorte de dialogue ‘vérité réconciliation » à la Sud Africaine ? En tout cas, avec Idriss Déby Itno fortement accroché au pouvoir, concevoir un dialogue est un exercice difficile et pour paraphraser Djedouboum Sadoum (NT N°36 du 11/06i 06), « Quand un homme, depuis le commencement de sa carrière politico-militaire, a tracé son chemin par et dans la violence, quand les portes de la gloire lui sont ouvertes au prix de dizaines de milliers de vies humaines, quand tout le long de son régime son unique argument est viol et violence, il est tout aussi absurde qu’illogique de lui trouver des opportunités de démocratie qui, par définition, est le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple ».
Cela dit, de quoi débattrait-on dans ce forum qui n’a jamais été débattu et qui n’eut jamais donner lieu à des examens profonds à travers conférences, ateliers, forums nationaux ou internationaux et Etats généraux?
Pour avoir la paix, les Tchadiens accepteraient-ils d’absoudre les crimes économiques, crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis par ceux, aujourd’hui au pouvoir ou dans la rébellion pour les besoins de la cause ? Ceux-là dont la seule raison d’être est la prédation des hommes et des ressources renonceront-ils à leur « mode de vie » à leurs coutumes?
Quelle force appuiera les Tchadiens pour trouver des solutions durables voire définitives aux questions de l’armée, de l’insécurité, de l’injustice, de la paupérisation? L’UA ou l’ONU?
Les questions du respect de la constitution, des lois, de l’alternance démocratique vraie pourront-elles trouver leurs réponses au cours de ce forum pour devenir force de loi et réalité après celui-ci ? Les appétits des chefs de guerre seront-ils enfin assouvis alors même que des milliards s’apprêtent à pleuvoir sur le trésor tchadien?
Des interrogations. Autant d’interrogations qui attendent d’obtenir des réponses.
Nadjikimo Bénoudjita
Notre Temps N° 259 du 04 au 10 juillet 2006