Les Tchadiens voient-ils la couleur de leur or noir? – Notre Temps N° 259 du 04 au 10 juillet 2006

Présenté comme modèle de lutte contre la pauvreté, un deal international sur l’exploitation du brut a servi à enrichir un consortium américano-malaisien et le régime corrompu de Déby plutôt qu’à réduire la misère noire des Tchadiens
Du célèbre rapport de Samir Gharbi, Journaliste à l’hebdomadaire Jeune Afrique l’Intelligent, sur les statistiques pétrolières tchadiennes, il ressort qu’en trois ans d’exploitation, d’oc­tobre 2003 à fin décembre 2005, le pé­trole tchadien a occasionné une recette totale de 4,26 milliards de dollars Us (soit environ 2.130 milliards de Francs CFA) soit davantage que le coût total du projet qui est de 3,7 milliards au lieu du coût initial prévu de 3,5 milliards (soit 1.750 milliards de francs CFA). Sur cette somme de 3,7 milliards, 1,5 était pour la mise en exploitation des gisements pé­troliers et 2,2 milliards pour la construc­tion de l’oléoduc Doba-Kribi, long de 1076 kilomètres.

L’argent du pétrole ? On n’en a pas vu la couleur.  » Près de trois ans après le dé­but de l’exploitation du champ pétrolier de Doba, les Tchadiens ne cachent pas leur déception. Le projet devait pourtant être exemplaire. En 2003, la Banque rnondiale assurait que  » l’exploitation du pétrole est une nouvelle occasion im­portante d’accélérer le développement de l’un des pays les plus pauvres du monde « . Une assurance qui justifiait l’in­tervention de l’institution qui, en 2000, avait accepté d’investir dans le projet Doba, offrant ainsi ses garanties finan­cières et morales à des compagnies pé­trolières sceptiques sur la rentabilité de l’opération.

A qui reviennent les dividendes de l’or noir tchadien?

Pour mettre en pratique son discours de lutte contre la  » malédiction de l’or noir », la BM avait alors établi une réglementation destinée à limiter l’im­pact social et environnemental des travaux réalisés par les pétroliers. Surtout, elle faisait mine de s’assurer que les dividendes du pétrole seraient utilisés à la lutte contre la pauvreté, en signant avec l’État tchadien un ac­cord sur la façon dont les fruits de la redevance versée par le consortium pétrolier devaient être dépensés: 72 % pour les secteurs prioritaires (santé, éducation, infrastructures…), 4,5 % à la région de production du pétrole, 10% bloqués dans un compte en ban­que pour les générations futures et 13,5 % pour le Trésor tchadien. L’ac­cord, mis en forme dans la loi 001, prévoyait également la création d’un conseil de surveillance composé de membres du gouvernement et du milieu associatif tchadien. Le con­seil était chargé de passer en re­vue tous les projets financés par l’argent du pétrole.

Voilà pour la vitrine mais, dans la pratique, les compagnies pétrolières  » restent in fine, les principales bénéficiaires d’un projet qui verra le jour grâce à l’intervention d’une agence internationale au ser­vice de la lutte contre la pauvreté « , résumait en juillet 2000 un rapport de la FIDH. La convention signée en 1988 entre le Tchad et le consor­tium, qui est toujours restée confi­dentielle et n’a pas été modifiée par la BM, prévoyait le paiement par les pétroliers d’une redevance de 12,5 %. Un taux  » bien inférieur à ceux de beaucoup d’autres pays africains « , estimaient en 2004 les organisa­tions Bank Information Center et Catholic Relief Service. Quant à l’im­pôt sur les bénéfices (40 % à 60 %), l’autre source possible de re­venus pour l’État tchadien, il ne de­vait commencer à être versé qu’après 2010 et dans des propor­tions très limitées, en raison de mécanismes de réduction où d’exemption de taxes inclus dans la convention.  » La franchise totale d’impôts sur les bénéfices repré­sente… une valeur estimée à 10,2 milliards de dollars « , avait calculé la FIDH. Défavorables au Tchad, ces conditions ont pourtant été ac­ceptées par la BM, qui s’est gardée de demander au consortium une renégociation du contrat en échange de sa participation, comme par l’État tchadien, prêt à tout pour toucher au plus vite des dividendes.

Aujourd’hui, les recettes totales du Tchad, d’octobre 2003 à fin décembre 2005, sur les 12,5% sous forme de royalties sont de 399 millions de dollars Us (soit environ 199,500 milliards de francs CFA) dont 307 millions réellement trans­férés et répartis comme suit : les fonds des générations futures (utili­sés pour les générations actuelles suivant là loi 001 devenu 002) qui s’élèvent à 36,2 millions de dollars Us, soldés et récupérés par le gouvernement en janvier dernier (la re­vendication de ces fonds a été la clé de voûte de la chamaille entre la Bm et le gouvernement dès janvier 2006; le compte des secteurs priori­taires qui est de 245, 6 millions de dollars Us ; le compte des régions productrices a été  » déboursé  » à hau­teur de 15,3 millions de Us $ soit 3,02 au lieu des 5% prévus.

La Banque mondiale n’a par ailleurs pas mis beaucoup d’éner­gie à faire respecter les grands principes qu’elle avait proclamés. Elle n’est par exemple jamais intervenue quand les pétroliers n’ont pas res­pecté leur cahier des charges, rap­pelle le Groupe de recherches alter­natives et de monitoring du projet Pétrole Tchad-Cameroun (GRAMP/TC). Elle n’a que peu soutenu le col­lège de personnalités tchadiennes qui, faute de moyens, a toujours peiné à exercer un contrôle effectif sur l’uti­lisation des fonds pétroliers.

L’État le plus corrompu du monde peut-il bien gérer ses propres ressources?

De plus, dans un État parmi les plus corrompus du monde, la définition large des secteurs prioritaires aux­quels devaient être affectés les divi­dendes de l’exploitation pétrolière a permis des abus. Le GRAMP/TC ex­plique ainsi qu’en 2005 le ministère de la Santé a reçu une dotation infé­rieure à 5 % de la redevance, contre plus de 50 % aux travaux publics, notamment en faveur de sociétés te­nues par des proches d’IDI. Enfin, comme la loi n’encadre que l’utilisa­tion des fonds générés par la rede­vance, Idi a pu, légalement mais au grand embarras de la BM, acheter des armes avec les premiers dollars reçus sous forme de bonus. Souve­nez-vous des 19 milliards de francs Cfa perçus en début d’exploitation de l’or noir tchadien.

La Bm a une position mitigée dans la lutte contre la pauvreté

La hausse du prix du pétrole a fini d’ôter sa crédibilité au dispositif de lutte contre la pauvreté mis en place par la Banque mondiale. Avec un baril à 60 dollars, contre 15 au moment de l’évaluation du projet, les compagnies ont été bénéficiaires plus tôt que prévu. Aussi, contrairement aux pré­visions, elles ont dû commencer dès 2006 à verser au Tchad l’impôt sur les bénéfices. Une bonne nouvelle pour l’État tchadien. Avec un taux d’imposi­tion à 60 % pour les trois puits de Doba et de 50 % pour les autres, les pers­pectives sont énormes. La production actuelle de 160 000 barils-jour devrait engendrer environ 500 milliards de francs Cfa de bénéfices annuels, soit le versement au Tchad de 600 millions de dollars (soit 300 milliards de franc Cfa) en impôts, le double des recettes budgétaires de 2001.

Pour l’instant, le consortium est parvenu à réduire ce montant soit en aug­mentant les coûts opératoires, soit en déduisant de ses impôts un maximum d’investissements, parfois à la limite de la légalité, comme quand il tente de faire passer sur le compte d’une seule année des investissements censés être amor­tis sur dix ans, ou encore quand il impute des dépenses liées à l’exploitation de nouveaux puits où le taux d’imposition est le plus fort. Le Tchad ne devrait donc recevoir que 60 millions de dollars d’ici à la fin de l’année, au titre de provisions d’impôts calculées sur le bénéfice 2005, en plus de 64 millions d’impôts sur les sociétés. Soit un total de 124 millions de Us $ (soit environ 62 milliards de francs Cfa). Un montant qui, selon un expert, pourrait néanmoins être doublé après ré­vision des comptes fournis par les pétro­liers. Et dès 2007, les sommes générées par l’impôt vont être supérieures à celles de la redevance, et se compter en centai­nes de millions de dollars. Du jamais vu au Tchad. Mais ce n’est pas forcément une bonne nouvelle pour les Tchadiens.

Pariant sur un impôt presque nul, le projet de lutte contre la pauvreté n’a fixé aucune condition sur la façon dont l’État tchadien allait dépenser cet argent. Une liberté qui, compte tenu de la nature prédatrice du pouvoir et des pressions militaires qu’il subit actuellement, a de bonnes chances de finir en achat massif d’armement. C’est ce qui se serait passé déjà avec les fonds des générations futu­res qui ont servi à résorber les arriérés de salaires des fonctionnaires et des re­traités de l’Etat pour 8 milliards de francs Cfa sur les 26. Le reste est allé dans l’achat des armes puisque la loi 002 a ajouté à la liste  » la sécurité  » comme secteur priori­taire.

Djimingar Nguétola Arsène
Notre Temps N° 259 du 04 au 10 juillet 2006


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