Grogne à la maison d’arrêt de NDwaména: Les détenus manifestent leur désarroi – Le Progrès N° 1970 du 31 mai 2006

gro «Nous sommes des miséreux. Nous sommes les oubliés du pays. On ne nous considère plus comme des êtres humains». Les détenus de la maison d’arrêt de N’Djaména, par l’intermédiaire de leur chef de cour (N.D.L.R.: le porte-parole ou le délégué, selon l’organisation interne des prison­niers), Allatchi Bédério, apprécie leur situation carcérale en détério­ration. Les nattes dans les cellules sont usées. Certains prisonniers dorment à même le sol. Les treize grandes marmites servant à la préparation de la nourriture sont trouées. Une seule marmite est utilisée pour préparer à manger à la population carcérale estimée à plus de 1000 personnes. Les toi­lettes sont insalubres. L’infirmerie manque, cruellement, de médica­ments. «Nous ne pouvons pas nous affranchir de cette condition de vie difficile à cause de la len­teur judiciaire. Il existe des prévenus qui ont presque cinq ans de détention sans jugement » déclare Allatchi Bédério, complété, dans ses explications par ses co-détenus.

Le régisseur de la maison d'arrêt, le capitaine Julien Kladoh, confirme l'existen­ce d'inculpés et d'accusés détenus depuis bientôt cinq ans. II s'agit de dos­siers criminels en instruc­tion au cabinet des juges d'instruction. A défaut de cabanon spécifique, la maison d'arrêt regorge aussi des détenus malades mentaux. «Les fous consti­tuent un danger pour eux­-mêmes et pour les prison­niers», souligne M. Mahamat Idriss, Troisième substitut du procureur de la République. Or, relève-t-il, un fou est, pénalement. Irresponsable. Les prison­niers projettent protester aujourd'hui (mercredi 31 mai 2006) pour manifester leurs mécontentements.

Ils disent qu’ils ont été désabusés par la déclaration du ministre délé­gué auprès du Premier ministre, chargé des Droits de l’Homme et des Relations avec l’Assemblée Nationale, M. Abdraman Djasnabaille, à la télévision nationa­le le dimanche 28 mai 2006. Invité du journal télévisé, M. Abdraman Djasnabaille aurait déclaré que la situation on des prisonniers se serait améliorée après sa visite à la mai­son d’arrêt, il y a quelques mois.

«J’ai cru comprendre que le ministre a déclaré qu’il est en train d’ceuvrer pour que la condition de détention des prisonniers s’améliore», inter­prète, par contre, M. Mahamat Idriss, Troisième substitut du procu­reur de la République. Déjà, avant­ hier, lundi 29 mai 2006, les préve­nus ont boudé l’audience correc­tionnelle. Ils ont refusé d’être extra­its. La grève de ce matin, mercredi 31 mai 2006, vise à attirer l’attention du gouvernement et de l’opinion nationale sur les conditions de vie des prisonniers. «Le mécontente­ment des détenus est légitime. Ils vivent une situation très précaire», avoue le capitaine Kladoh. Il demande aux responsables de l’Administration pénitentiaire de faire quelque chose pour éviter un soulèvement à la maison d’arrêt. M. Mahamat Idriss informe que, le par­quet est en contact permanent avec les détenus pour calmer les esprits. «On s’atèle à l’accélération de l’as­pect juridictionnel», rassure-t-il. Une source sure indique, par ailleurs, que, de bons de commandes sont émis pour l’achat de marmites et de matériels indispensables à l’amélio­ration des conditions de détention des prisonniers. Le ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des Droits de l’Homme et des Relations avec l’Assemblée Nationale aurait déclaré qu’il a fait un don de matériels aux prisonniers et procédé à la libération des mineurs en détention, rapporte Allatchi Bidério. «Où sont passés ces matériels? Nous ne les avons pas réceptionnés», déclare, amer, le chef de cour des prisonniers. «Je n’ai pas dit que j’ai octroyé un don aux prisonniers», se défend M. Abdraman Djasnabaille. Pour lui, son passage à la maison d’arrêt a permis de sensibiliser l’opinion sur la situation des détenus. Pour preu­ve, les femmes membres de Lions Club ont apporté de la nourriture aux femmes prisonnières. Le ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des Droits de l’Homme et des Relations avec l’Assemblée Nationale marque sa disponibilité à aider les détenus. «Je suis handicapé par la non-adoption de l’organigramme de mon départe­ment», clame-t-il. L’organigramme du ministère chargé des Droits de l’Homme et des Relations avec l’Assemblée Nationale prévoit la fonction d’inspecteurs des Droits de l’Homme, qui doivent examiner la situation pénitentiaire de chaque détenu. «Au lieu de faire la grève, je demande aux prisonniers ou à leurs avocats de me saisir par courrier d’une situation précise. Je ferais bon usage de cette correspondan­ce», propose M. Abdraman Djasnabaille. Pendant ce temps, le régisseur de la maison d’arrêt, le capitaine Julien Kladoh, est menacé de poursuite judiciaire suite au décès d’un détenu. Les parents du défunt ont porté plainte à la SNRJ. L’officier est convoqué ce matin.

Alain Golbassia Kerlo
Le Progrès N° 1970 du 31 mai 2006


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