CSAPR: Urgence paix Tchad
Ce dernier semestre, le pays semblait s’engager dans une dynamique constructive avec la signature d’accords qui concrétisaient la reprise du dialogue entre le gouvernement et l’opposition démocratique d’une part et le gouvernement et l’opposition armée d’autre part.
Gouvernement, acteurs politiques et politico-armés appuyés par différents partenaires régionaux et internationaux ont pris des engagements pour la mise en œuvre d’un processus politique qui devrait stabiliser le pays.
Parallèlement, Union Européenne et Nations Unies se sont accordées pour le déploiement de l’Eufor, une force mixte de protection humanitaire, dans l’Est du Tchad et le Nord-Est de la Centrafrique.
Le Comité de Suivi de l’Appel à la Paix et à la Réconciliation a apprécié ces efforts tout en restant prudent. Compte tenu de l’expérience du Tchad en matière d’accords de paix non respectés et de la nécessité de tirer profit de cette dynamique politique, le CSAPR a proposé la tenue d’une rencontre nationale pour harmoniser les différents accords et initiatives de paix.
Aujourd’hui, le processus politique est bloqué, les signataires de l’accord du 13 août se taisent, ne l’assument toujours pas. Les partenaires internationaux semblent revoir leurs ambitions à la baisse, estimant que l’application de l’accord à un tiers serait satisfaisante. Le Comité de Suivi et d’Appui de l’accord a suspendu ses travaux pendant plus d’un mois et demi, attendant un décret présidentiel qui clarifierait son statut. Et ce alors même que de nombreux chantiers demandent à être entamés dès maintenant (révision code électoral, évaluation système électoral dans son ensemble…). Tout ceci remet en question la viabilité même de cet accord et plus globalement du processus politique soutenu par la Commission Européenne.
Dans le même moment, la situation à l’Est s’aggrave, des combats violents se succèdent entre l’Armée Nationale Tchadienne et différents groupes rebelles (Ufdd, ex-Fucd, Rfc) signataires d’accords de paix plus ou moins récents. Mahamat Nour, ancien chef du Fucd, devenu Ministère de la Défense Nationale après un accord de paix signé il y a moins d’un an, a été destitué de son poste ce 1er décembre 2007, ce qui prouve une fois de plus la volatilité des accords de paix parcellaires.
Si les positions de chacun se radicalisent, il faut craindre une escalade de violence où le dialogue, la négociation n’apparaissent plus comme alternative de résolution de la crise.
En dix jours, combien de tchadiens morts, combien de milliards d’équipements partis en fumée, quel potentiel de développement détruit dans des affrontements fratricides, tout cela au détriment d’investissements constructifs et nécessaires pour le Tchad ?
Pourtant, le Tchad doit faire face à des enjeux bien plus importants que la conquête ou le maintien au pouvoir. Ces enjeux ne peuvent trouver de réponse militaire mais demandent un processus politique négocié de sortie de crise assorti d’une feuille de route claire et qui prendrait en compte les priorités de paix, de sécurité et de développement de l’ensemble des tchadiens.
Aujourd’hui, l’Est du Tchad est à feu et à sang mais le CSAPR craint un embrasement prochain du reste du pays. Avec la descente des éleveurs qui fuient les combats alors même que les récoltes n’ont pas commencé au Sud, il y a un risque de conflit entre éleveurs et cultivateurs.
A moyen terme, le Tchad devra faire face à une insécurité alimentaire certaine due notamment à l’absence de cultures dans le Dar Sila, qui est un des greniers du pays. Soit les terres cultivables sont occupées par les camps de réfugiés et déplacés, soit les populations n’osent pas cultiver de peur d’être pillés ou de devoir quitter leurs terres à cause de l’insécurité.
A long terme, le CSAPR craint que cette reprise des hostilités alors même qu’un processus politique était en marche n’entame entièrement la confiance des tchadiens dans le dialogue et ne concrétise un état de prédation où les seules voies de règlement des différends, d’accès au pouvoir ou aux ressources soit le recours aux armes. Et corrélativement, une affectation massive des dépenses publiques à l’armement, au domaine militaire au détriment des secteurs prioritaires pro-développement.
Considérant ces différents éléments, le CSAPR estime qu’il est important d’agir maintenant pour la paix. Il s’agit non seulement de limiter les pertes humaines, matérielles mais également d’éviter de perdre les bénéfices des avancées politiques de ces derniers mois.
En cela, le CSAPR réitère son rejet de l’utilisation de la violence comme mode d’exercice et/ou de conquête du pouvoir et réaffirme son attachement à la participation de tous les acteurs à un processus de paix global.
Le CSAPR interpelle dès lors les différents acteurs nationaux, régionaux et internationaux pour qu’ils assument leurs responsabilités, à court terme pour la cessation des hostilités, à moyen terme pour la définition et la mise en œuvre d’un processus de paix négocié.
Le CSAPR demande :
- Au président Idriss Déby Itno, à son gouvernement et au MPS :
- de déclarer un cessez-le-feu unilatéral pour encourager l’opposition armée à reprendre le dialogue
- de déclarer son attachement à un règlement négocié de la question de l’opposition armée
- de soutenir réellement et publiquement le processus politique issu de l’accord du 13 août 2007 et de faciliter son application
- A l’opposition armée :
- d’arrêter les combats à cause des morts inutiles et de la nécessité de casser le cycle de violence
- de déclarer leur attachement à un processus politique crédible de sortie de crise avec tous les acteurs
- Aux acteurs politiques et aux signataires de l’accord du 13 août en particulier :
- d’assumer publiquement l’accord du 13 août et de s’impliquer réellement dans sa mise en œuvre
- de considérer l’accord du 13 août comme un cadre légal et de commencer à traiter les questions de fonds
- de dénoncer la reprise des combats et d’appeler les belligérants à un cessez-le-feu immédiat
- de réaffirmer leur attachement à un règlement politique de la crise incluant tous les acteurs
- Aux partenaires régionaux et internationaux en général :
- de se prononcer sur la situation que vit le Tchad actuellement
- de dénoncer la reprise des combats et d’appeler à un cessez-le-feu rapide
- d’accepter de s’engager dans un règlement politique de la crise dans l’intérêt premier des populations
- A la Commission Européenne et à la France qui sont doublement engagées au Tchad via le processus politique et via l’Eufor :
- de s’activer davantage pour que l’accord du 13 août se mette en place en leur qualité de facilitateur
- de subordonner son soutien logistique au gouvernement au soutien d’un processus politique de sortie de crise au risque d’être considéré comme partie au conflit
- de ne pas envisager le déploiement de l’Eufor comme une fin en soi mais bien comme un dispositif devant accompagner une stabilisation de la situation tchadienne
- d’aborder la question de la paix au Tchad lors du prochain sommet Europe-Afrique en soutenant la nécessité d’une résolution politique de la crise
La société civile restera mobilisée autour de l’urgente nécessité pour tous les acteurs de s’engager dans une résolution politique et négociée de la crise tchadienne à l’occasion d’une rencontre nationale d’harmonisation des différents accords et initiatives, dans le respect des préoccupations réelles des populations.
Je vous remercie
Martine Nourry