Enrichissez-Vous, J’ai Tué La Presse!

Le 16 Avril 2008, l’ex-politico-militaire promu, en raison des spécificités tchadiennes, premier ministre en remplacement du Dr. Kasiré Delwa, disait au micro que lui avait tendu Olivier Roger ceci : « J’irai vers les responsables politiques qui ont signé cet important accord (Accords du 13 Août 2007), qu’ils soient de la majorité ou de l’opposition, pour construire avec eux un gouvernement d’action capable de régler les problèmes quotidiens des Tchadiens…»

Un espoir était bizarrement né en ce moment là. Mais comme de nombreux chef de gouvernement avant lui, on s’est très vite aperçu que Saleh Abbas est venu, comme ses prédécesseurs, aider le président Idriss Deby dans son processus de stagnation sinon de régression de la démocratie au Tchad. Le premier ministre, à la tête d’un gouvernement aux mœurs opaques, a réuni ses lieutenants ministres en meute pour achever ce qui reste de la presse indépendante tchadienne.

Tous les tchadiens sont déçus mais pas surpris de voir l’homme qui prétendait régler leurs problèmes quotidiens leur en créer un peu plus. Déçus et horrifiés d’assister à nouveau à un genre d’«Ivoirité » de Konan Bédié que l’ancien ministre Routang Yoma avait utilisé contre Tchanguiz Vatankha (19 May 2006)-un journaliste d’origine étrangère mais marié à une tchadienne et qui a vécu toute sa vie au Tchad, Ebodé est aussi victime de « l’Ivoirité ».

En effet, Ebodé est un autre « Etranger » si l’on comprend bien le geste du gouvernement tchadien qui l’avait escorté à la frontière de son pays dans la clandestinité la semaine dernière.

Mais, en torturant Mr. Ebodé avant de l’envoyer à Kousséri, au Cameroun (son pays d’origine), Youssouf Saleh Abbas vient encore nous confirmer par son geste qu’il bâillonne bien la démocratie.

Accusé de gérer un journal qui serait financé par l’ex premier ministre Haroun Kabadi et Me Padaré, Innocent Ebodé est devenu un perturbateur des douces nuits du premier ministre et du ministre de la Justice, Jean Alingué. En expulsant ce « camérounais » qui gène du territoire tchadien, on peut laisser ce gouvernement zapper la démocratie.

Faut-il encore mentionner à ceux qui ne voient pas derrière les rideaux que Saleh Abbas garde une rancœur mortelle envers Kabadi à cause d’un vieux différend qui daterait de l’époque de la conférence nationale souveraine ?

C’est une tautologie de dire que les gouvernements qui se sont succédés au Tchad, en général, n’aiment pas la presse indépendante. Marcel Ngarogto de la radio Brakos, Koumbo Sy Gali de l’Observateur, Adji Moussa du journal le Miroir, Nadjikimo Benoudjita de Notre Temps, Begoto Oulatar de Ndjamena bi Hebdo, …ont connu ce qu’il convient d’appeler la fureur insensée des gouvernements tchadiens.

Parlant des journalistes, « il faut les faire taire par des menaces afin qu’ils ne rapportent pas des affaires gênantes » laissait entendre un ministre trop bavard qui avait été malmené dans le passé pour malversation financière avant de retrouver la grâce du parrain.

Muselée, la presse est une option inacceptable. Absente, les tchadiens ne sauront jamais le sort des prisonniers livrés aux geôliers sans scrupule et sans moindre protection juridique. Personne ne saura l’arbitraire auquel sont soumis les justiciables surtout que pour les visiter, surtout ceux connus comme adversaires de Youssouf Saleh Abbas, il faut maintenant avoir un bon du ministère de la Justice et payer 2500 Fcfa.

N’est-il pas là un moyen astucieux pour garder le regard sur les visiteurs des prisonniers et les punir comme c’est le cas du conseiller aux affaires juridiques de la primature, victime des sautes d’humeur de son patron ?

L’opinion publique, instrument privilégié de mesure et d’orientation de la vie nationale, est systématiquement étouffée sous d’énormes éteignoirs du gouvernement de Youssouf Saleh Abbas. Venu convaincre les sceptiques de ce que le président Deby peine à démentir : régression des principes démocratiques et ruines des institutions de liberté, le Tchad s’est-il retrouvé après 50 ans sous les griffes d’un régime grégaire aux instincts primitifs avec un premier ministre viscéralement rancunier et délirant, sans aucun égard pour la presse ?

Si le Tchad, en paraphrasant l’ex Président Hissein Habré, est « une République et non un simple agrégat d’ethnies en compétition pour le pouvoir de l’Etat » alors pourquoi ne traduisons-nous pas un tel esprit dans les faits, afin d’éviter au Tchad et à son peuple de continuer d’être la victime des aventuriers politiques et des vendeurs d’illusions ?

Nous pouvons encore rebondir, si les hommes et les femmes de ce pays veulent encore bien s’asseoir, discuter et s’organiser pour accéder au minimum commun que seul un débat démocratique et républicain peut aider à poser les diagnostiques de notre démocratie qui porte en elle une maladie en phase d’incubation.

Dr Félix Ngoussou,



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