La notion de citoyenneté et ses implications
Série de formations sur la Citoyenneté organisée par l’Association Action de Partenaires pour l’Appui au Développement (A.P.A.D) à l’intention d’un réseau d’associations de jeunes des 10 arrondissements de la capitale. Lieu : au Cercle culturel l’Oasis (Rue de 40M-2 châteaux STEE) –
Préparé et présenté par Enoch DJONDANG, personne-ressource société civile N’Djamena le 17 septembre 2010
Le terme “citoyen“ est généralement utilisé à l’occasion de formalités administratives ou policières au passage de frontières d’un pays à l’autre pour distinguer les usagers. Mais il est plus rarement utilisé entre les compatriotes tchadiens eux-mêmes, parce qu’ils en ignorent le contenu et la portée pour la plupart.
Historiquement et de manière ramassée, ce terme “citoyen“ est un héritage universel de la Révolution française de 1789. Avant cette date, l’Etat de France était un ancien royaume millénaire au sein duquel les habitants n’avaient pas les mêmes droits et les mêmes devoirs, selon leur naissance ou leur profession. Ainsi, il y avait les “nobles“ issus de la famille royale et des grands propriétaires fonciers (ou “seigneurs féodaux“), qui s’attribuaient par la simple naissance tous les droits pour eux-mêmes et sur les autres, y compris celui de vie ou de mort. Avec la révolution industrielle marquant la fin du Moyen Age européen, apparait la “bourgeoisie“, une nouvelle classe de riches commerçants et industriels, dont la place dans la société était liée à l’argent qu’ils possédaient. Au bas de l’échelle, le “Tiers-Etat“ ou la grande masse des pauvres qui n’avait que peu de droits et de considérations, qui se voyait refuser titres et privilèges et qui était sujet à l’exploitation des classes dites supérieures. Entre les plus nantis et les pauvres, le “clergé“ religieux tirait ses épingles du jeu, en manipulant les uns et les autres.
Le poids des injustices et des frustrations cumulées et les progrès de l’éducation scolaire et de la science favoriseront les révoltes et les remises en cause des fondements théoriques et matériels de ce système jusqu’à aboutir à la Révolution française de 1789 où, pour la première fois, il sera proclamé que “tous les hommes naissent libres et égaux en droit et en dignité“. Tel est le fondement intangible de la notion de citoyenneté qui s’opposera à celle de “sujets“ dépendants du bon vouloir du souverain gouvernant! Désormais, quel que soit l’ordre social ou institutionnel d’un Etat, l’évocation du terme de “citoyen“ devra s’accorder avec cette vision égalitaire du statut des personnes.
Mais, dira-t-on, pourquoi les Britanniques continuent d’être appelés les “sujets“ de Sa Majesté la Reine ? Quelles différences avec les Français, les Américains et nous ? Les Britanniques ont fait le choix de maintenir, dans leur Constitution, l’héritage d’une société divisée en deux catégories : la survivance de la noblesse et les autres. Cependant, pour l’essentiel, tout leur système juridique consacre le minimum de droits individuels pour tous les sujets de Sa Majesté, de sorte que la monarchie et la noblesse britannique ne soient pas un obstacle et un fardeau pour le peuple, mais plutôt l’expression d’un attachement volontaire et majoritaire aux valeurs d’une culture et d’une histoire brillante.
Dans le cas précis du Tchad, il y a grosso modo deux grands groupes de populations au sein desquelles les statuts des individus diffèrent traditionnellement : (i) d’un côté les sociétés centralisées autour de sultans et chefs traditionnels puissants, eux-mêmes à la tête d’une pyramide social allant des “nobles“ aux “habiths“ (“serviles“) et aux castes (“Haddads“), qu’on retrouve dans une grande partie du Nord sahélo-saharien et dans le Mayo-Kebbi ouest, et (ii) de l’autre les sociétés plus égalitaires, appelées “acéphales“ par certains spécialistes, et qui peuplent une partie du BET, le Centre et le Sud du pays. On pourrait affirmer que ces dernières étaient déjà plus proches de la notion de citoyenneté, par rapport aux sociétés traditionnelles stratifiées.
Ces paramètres seront déterminants dans le degré de dynamisme et la capacité d’adaptation des grands groupes nationaux depuis la mise en place progressive des structures de l’Etat moderne au Tchad à partir de 1946 jusqu’à nos jours. Ainsi, vous constaterez froidement avec nous que les ressortissants des régions aux sociétés traditionnelles plus libérales, sont les plus présents et dominants dans la vie politique et politico-militaire de notre pays jusqu’à ce jour. Ne cherchez pas l’explication dans un quelconque favoritisme colonial (exemple : “les sudistes ont été favorisés par la colonisation française“) ou postcolonial (“tel régime a favorisé les siens avant tout“), ce phénomène prend ses racines dans nos profondeurs sociologiques séculaires mêmes !
En effet, pour atteindre le standard minimum d’exercice de la citoyenneté à l’échelon national, il est évident que ceux qui subissent moins de contraintes et de pesanteurs sociologiques dans leurs milieux d’origine tribale ou confessionnelle, seraient plus à même de participer à une évolution aussi mouvementée que la nôtre au Tchad. Les autres “citoyens“, restés encore des “sujets“ dans leurs propres milieux et victimes de blocages de toutes sortes, accusent souvent du retard pour s’adapter aux évolutions en cascades du cours de l’histoire de notre pays. Rien qu’une radioscopie du mouvement des sociétés civiles, qui sont à la base des entreprises de développement communautaire et humanitaire, nous confirmerait sur une carte les disparités grandes entre les régions, après 20 ans d’ouverture démocratique et sociale. Nous sommes en mesure d’argumenter par les faits ces assertions !
Pour recentrer notre sujet, nous disons que la citoyenneté est liée à la forme de l’Etat que nous avons choisie pour le Tchad, à savoir une République laïque, pacifique et pluraliste. Qu’est-ce que cela signifie ? Cela signifie que les peuples (Goranes, Arabes, Saras, Kanembou, Ouaddaï, Massa, Hadjeraï, Kotoko et autres) partageant historiquement et foncièrement ce territoire appelé “Tchad“, ont choisi de conférer à leurs ressortissants, sans distinction d’origine, de rang social ou de religion, un ensemble de droits et de devoirs égaux consignés dans les Titre I et II de la Constitution en vigueur. Autrement dit, il n’y a plus de distinction entre anciens “rois“, “nobles“, “castés“ ou “habiths“ : ils sont tous “Citoyens et Citoyennes“ du Tchad et ont les mêmes droits et les mêmes devoirs.
Cela signifie aussi qu’ils peuvent pratiquer leur religion partout, exercer une activité économique partout, résider partout, circuler partout, tant qu’ils ne le font pas au détriment des mêmes droits exercés par d’autres dans ces espaces-là. Les lois et les règlements en application dans le pays ne peuvent que découler de cette source unique d’égalité et de fraternité entre tous les Tchadiens. Dès lors qu’elles divergent sur ce plan ou dans leur application, à la règle républicaine sacrée d’égalité qu’elles sont censées défendre, elles deviennent injustes et arbitraires, même prétendument votées par une “majorité“.
Les Institutions de la République, issues de la Constitution et d’autres textes organiques, sont liées par les principes qui fondent la citoyenneté. Aucune d’elle n’est le fruit d’un “cadeau“ ou d’une faveur accordée par un individu ou un groupe. Même quand ce serait le cas, cela ne donnera aucun droit de violer ou de mépriser les droits d’un citoyen tchadien quelconque. Il faut que la jeunesse tchadienne se libère du fardeau de ces déviances historiques qui tendent à faire croire que le Tchad serait le fruit des hommes et leur propriété privée plutôt que l’inverse.
Aucun corps de l’Etat tchadien n’a des droits qu’il s’est attribué lui-même par la force ou par une référence autre que celle de la Constitution et de la Loi. Cela est très important pour que les citoyens soient vigilants par rapport aux comportements des agents publics. Par exemple, ceux qui portent l’uniforme et les armes ne sont pas des citoyens supérieurs aux autres mais plutôt liés par les règlements qui les mettent au service de la collectivité. Ils ne peuvent donc pas volontairement menacer les gens, s’accaparer de leurs biens au moindre contrôle ou opération commandée, violenter, torturer et emprisonner ceux qui ne sont pas d’accord avec eux, etc.
La citoyenneté, dans ses implications, signifie que l’éleveur a le droit de pratiquer son activité, selon les règles convenues, sans se faire attaquer ou arracher son cheptel par des gens en armes et impunis, que le commerçant peut aller où il peut pour vendre et acheter, sans se faire subtiliser son argent arbitrairement ou ses marchandises par des agents qui usent et abusent de leurs statut public, que le paysan est protégé dans ses droits à la juste rémunération, que chaque catégorie sociale soit protégée dans ses droits selon les règles édictées.
C’est en revendiquant leurs droits de citoyennes que les femmes tchadiennes de toute origine et condition sociale ou religieuse peuvent prétendre à leur totale émancipation, au même titre que les hommes et conformément à ce que leur reconnaissent la Constitution et les lois. C’est aussi parce que nous sommes tous égaux sur le plan juridique qu’il n’y a qu’une seule justice officielle avec ses tribunaux et ses lois, et que nos différences religieuses et culturelles sont classées au titre de références coutumières, donc en-dessous de la loi nationale. De ce fait, personne n’a le droit d’imposer aux autres les références propres de son groupe, comme malheureusement les ennemis de la république le font depuis quelques temps impunément.
Plus concrètement, c’est le contenu de notre citoyenneté qui nous permet la liberté d’expression, le droit de vote, le droit d’association, le droit de travailler, le droit de posséder des biens, etc. C’est aussi en vertu de ses dispositions qu’une personne peut être en sécurité et protégée, même en vivant seule au milieu d’une communauté qui lui est différente et dans n’importe quelle partie du territoire national. Si tel n’est pas le cas, c’est qu’il y a ignorance ou violation délibérée des droits de citoyenneté à un niveau quelconque et qui devrait être dénoncée et rectifiée.
La citoyenneté est un choix historique que nous devons assumer tous sans dérogation ni exception. Si les Tchadiens avaient choisi d’être les “sujets“ d’un Royaume, et de confier leur sort collectif à une famille régnante, les injustices subies au cours de notre histoire récente seraient justifiées, car chaque régime a tenté de se comporter selon le schéma d’un royaume, et non d’une république. Si tel n’a pas été le cas et ne le sera pas, alors il est du devoir de chaque Tchadien, de chaque Tchadienne de défendre de toutes ses forces les valeurs de la République laïc, pacifique et pluraliste ! Toute autre cause de lutte ou de résistance contraire ne sera que tragique au final, à l’instar du nazisme ou de l’apartheid.
Aujourd’hui, si l’on examine de plus près les causes du mal perpétuel qui ronge ce pays depuis son indépendance, nous nous rendrons compte que le Tchad n’est pas victime, ni de sa géographie, ni d’une tendance naturelle belliqueuse des populations qui le composent. Tout est parti de la volonté et de l’entêtement des dirigeants, depuis le premier régime, de remettre en cause le traitement égalitaire entre les citoyens et entre les composantes de ce pays. L’élimination systématique des voix discordantes des adversaires politiques, les exclusions de groupes, les frustrations de régions dites hostiles au régime en place, les tentatives d’instrumentaliser la religion comme arme politique de discrimination, la violence et l’arbitraire exercée tous les jours sur les citoyens sans sanction judiciaire, l’obstination d’instaurer la pensée unique autour d’un parti unique et dominant, le favoritisme d’un clan, etc., ont été autant de remises en cause de la citoyenneté tchadienne et de ses implications au Tchad. La guerre, le mercenariat transfrontalier, la déliquescence de l’administration, le gâchis des ressources publiques, n’en sont que des conséquences aux effets durables.
La défense de la citoyenneté est le point faible des partis politiques, des pouvoirs publics et des rébellions armées qui ont jalonné l’histoire de notre pays. Au lieu d’en faire leur cheval de bataille et de contribuer activement et intensément à l’enracinement de ses valeurs dans les mentalités des Tchadiens, de préparer la jeunesse à mieux vivre ses droits et avantages dans un pays apaisé, ils ont passé le temps, pendant plus de quarante ans, à poser des actes contraires pour leurs seuls intérêts égoïstes et éphémères. Ce n’était pas dans la voie de la recherche de l’égalité pour tous et de la dignité que des milliers de Tchadiens sont morts, mais ils ont été trompés ou victimes de leurs propres oppresseurs, aventuriers et fossoyeurs, comme l’a chanté le regretté Ahmat Pécos.
La citoyenneté, c’est le fondement même de notre identité tchadienne. Si nous ne savons pas en quoi et pourquoi nous sommes des citoyens et citoyennes du Tchad après 50 ans d’errance, alors ne nous plaignons pas du reste ! Car, qui que nous soyons, s’il y a quelque chose au moins sur laquelle nous ne pouvons pas être divisés ni trompés, c’est notre statut de citoyens et citoyennes tchadiens, conformément au Préambule et aux Titre I et II de notre Constitution. Si nous en sommes loin aujourd’hui, c’est la preuve de notre égarement collectif et à son ampleur, ce qui signifie qu’il y a urgence de réviser chacun sa vision et sa position actuelle !
En effet, après avoir expérimentés tous les barbarismes proches du nazisme et de l’apartheid (conflit nord/sud, musulmans/chrétiens, affrontements intercommunautaires, exclusions politiques, clanisme à grande échelle, etc.), la solution au problème tchadien demeure un retour pure et simple aux valeurs fondatrices de la citoyenneté telles que définies dans notre Constitution, et sans concession. Il n’y a pas de situation contraire qui tiendrait encore longtemps le pavé, car les épreuves ont, malgré tout, mieux forgé la volonté de vivre ensemble chez la majorité des Tchadiens. Autrement dit, le sort de la minorité diffuse, qui n’est pas encore prête à accepter et à vivre les implications de la paix et de la justice retrouvée, sur la base d’une égalité de droits et de dignité entre tous les Tchadiens, n’est pas enviable : elle sera bientôt par balayée dans la poubelle de l’histoire !
En résumé, la jeunesse tchadienne en quête de nouveaux et de bons repères, les trouvera dans la relecture et l’appropriation des valeurs de la citoyenneté telles que définies dans nos textes fondateurs de la République, et par sa volonté de refuser l’héritage tordu des générations défaillantes antérieures. Les organisations de jeunesse devraient décortiquer et traduire en activités porteuses le contenu riche de la citoyenneté de leur pays, de sorte que cette jeunesse soit capable de se présenter en alternative pour un Tchad meilleur !
Défendre sa citoyenneté, c’est défendre ses droits, sa dignité et celle de son pays positivement. L’on peut ne pas être membre d’une tendance politique et ne s’occuper que de ses affaires propres, mais nous serons toujours confrontés un jour à la violation de l’un de nos droits de citoyen ; c’est pourquoi il faut déjà être informé et éduqué sur ces valeurs pour être en mesure de bien réagir en face des dérapages et de l’arbitraire. Quand nous parlons de défendre l’Unité nationale, cela est n’est possible que si nous respectons les droits de citoyenneté des uns et des autres, ce n’est pas par la force ! Notre Hymne national ne dit-il pas : “Que tes voisins admirent tes enfants !“ Comment les voisins du Tchad admireront-ils des enfants prêts à brûler leur patrimoine national et ancestral, comme des mercenaires et des fous, pour des luttes mesquines de pouvoir et d’aventure, sans aucun patriotisme ni vision d’avenir ? La jeune génération doit tourner définitivement la page sombre de notre histoire sans citoyenneté garantie !
Enoch DJONDANG