Jean Alingué Bawoyeu, ancien Premier ministre tchadien, interviewé par Christophe Boisbouvier (Transcrit)
Au Tchad, l’opposition civile se cherche une nouvelle stratégie. Le 3 mai dernier, elle a boycotté l’élection présidentielle. Mais, depuis le 8 juin, elle est sollicitée par le président Idriss Deby Itno pour venir dialoguer en prévision des législatives de 2008. L’une des figures de la Coordination des partis pour la défense de la constitution (CPDC), l’ancien Premier ministre tchadien Jean Alingué, demande à ce que le dialogue soit ouvert à tous les acteurs politiques y compris politico-militaires.
Jean Alingué Bonjour!
Bonjour!
Au lendemain de sa reélection, le président tchadien vous a proposé un dialogue politique. Qu’est ce que vous répondez?
Nous ne sommes pas contre ce Dialogue. Cependant nous disons que la crise du Tchad est profonde. Donc, ce dialogue nous lui avons demandé à ce qu’il puisse être ouvert à tous les acteurs politiques, y compris les politico-militaires.
Alors entre le pouvoir et vous, le dialogue est rompu, notamment, depuis cette révision constitutionnelle qui a permis à Idriss Deby de se représenter cette année. Est-ce qu’aujourd’hui vous vous résignez à reprendre le dialogue malgré cette reforme constitutionnelle ou est-ce que vous en faites toujours un point de blocage?
Nous en faisons un point de blocage parce que cette révision constitutionnelle a apporté une désertion dans l’armée, a mis en place des groupes politico-militaires. Ce qui fait que le Tchad n’est plus le Tchad d’avant la révision constitutionnelle et nous pensons que maintenant les problèmes du Tchad se posent autrement et il faudrait qu’on voient la situation en face et que nous puissions tous ensembles, y compris le président de la république, trouver une solution à notre crise. Il est temps d’arrêter de traiter la question tchadienne à moitié.
Alors, le 13 avril dernier, Idriss Deby Itno a repoussé in extremis une offensive rebelle. Est-ce qu’une victoire des rebelles ne vous aurait pas donné un plus grand espace politique qu’aujourd’hui. Et est-ce qu’au fond de vous-même, Jean Alingué, vous ne regrettez pas la défaite de l’armée?
Non je ne dis pas que je regrette une défaite quelconque. Mais on peut chanter que monsieur Deby a vaincu les rebelles le 13 avril dernier. Mais souvenez-vous que n’eût été l’armée française, je ne vois pas que monsieur Deby puisse gagner cette guerre. Depuis 1968, quand l’armée française est rentrée au Tchad pour mater le Frolinat à cette époque, mais ça fait près de 40 ans; on n’a pas résolu le problème tchadien, ni à travers l’armée française, ni à travers les différents groupes qui se sont constitués pour pouvoir prendre le pouvoir au Tchad. Je crois que nous ne pouvons pas continuer à dire que c’est par la voie des armes que nous allons y arriver.
Jean Alingué, vous vous battez sur un terrain politique et pacifique. Vous refusez la lutte armée. Est-ce que vous n’êtes pas en contradiction avec vous-même quand vous demandez la venue des rebelles à une table ronde?
Non. Je ne pense pas que je suis en contradiction avec moi-même parce que, pour quoi les gens prennent les armes? Je crois que c’est pour pouvoir lutter, pour chercher la voie d’avoir une alternance au pouvoir. Je crois qu’il faut qu’on s’interrogent là-dessus. Il faudrait que nous nous retrouvions et nous parlions de notre mal. Et le mal tchadien, il faut qu’on l’extirpent de nous et nous trouverons la solution à nos problèmes.
Que répondez vous, Jean Alingué, à ceux qui disent du coté du pouvoir tchadien que ces rebelles ne sont en fait que le bras armé du Soudan et qu’ils n’ont pas d’existence par eux-mêmes?
Mais quel est le rebelle qui n’est pas le bras armé d’un autre. Que ça soit monsieur Deby, quand il était en rébellion. Il était le bras armé du Soudan, de la Libye, enfin de ceux qui l’ont aidé à venir au pouvoir Le Soudan a été toujours la voie royale pour le Tchad depuis son indépendance. Mais c’est un problème aussi des enfants du pays. Si les enfants du pays retrouvent un cadre où ils peuvent évoluer politiquement, économiquement pour le développement du pays, je crois qu’ils iraient très peu vers d’autres pays pour chercher la voie d’aller au pouvoir, de conquérir le pouvoir par les armes.
Le régime tchadien agite l’épouvantail du Soudan islamiste qui veut déstabiliser toute la sous-région. Ça marche puisque la France soutient politiquement, militairement le régime. Est-ce que vous n’êtes pas très isolés?
Nous pensons que ça, c’est un aspect des problèmes et ça avantage, c’est vrai, monsieur Deby qui prend cela comme le motif principal de l’instabilité de son régime. Mais nous pensons que c’est insuffisant parce que en fait, le Tchad est impliqué intimement dans la crise de Darfour. Nous avons des parents, nous avons des familles entières qui ont pris les armes à partir du Tchad pour attaquer le Darfour. On ne va pas disculper monsieur Deby parce que la communauté internationale le cajole pour dire que oui il lutte contre le Soudan islamique. Mais ce n’est pas ça le problème. Le problème réel est que monsieur Deby est impliqué dans le conflit de Darfour. Et c’est pour cela que nous pensons que notre rôle n’est pas celui de jeter la (lateme?) sur nos voisins. Je crois que cette politique n’a pas sa raison d’être pour un pays comme le Tchad
Ces derniers jours, Jean Alingué vous avez rencontré des décideurs européens à Bruxelles, à Paris. Quand ils vous disent que le régime de Deby Itno est un moindre mal face à la menace islamiste venue du soudan, qu’est-ce que vous leur répondez?
Mais c’est leur point de vue. Nous pensons que ce n’est pas du tout le régime de Deby qui est le moindre mal. De notre point de vue nous pensons que si nous résolvons le problème tchadien, nous allons résoudre également 50% du problème de Darfour. Ça, il faut quand même que la communauté internationale nous comprenne bien sur ce plan. Et à partir de là, ce que nous demandons, c’est qu’on puissent nous retrouver autour d’une table avec les autres compatriotes qui ont pris les armes et les politico-militaires que nous puissions discuter. Si nous résolvons nos problèmes, nous avec ceux qui sont en armes en ce moment, les tchadiens j’entends, nous pouvons résoudre également une grande partie du problème du Darfour.
Jean Alingué, merci.