Fidèle Moungar, ancien Premier Ministre du Tchad, au micro de Bernard Nageotte le 8 août 2006
Cette interview a été transcrite par nos soins. Vous la trouveriez, sous forme sonore, en cliquant ici.
Fidèle Moungar, bonjour!
Bonjour!
En décembre dernier, des rebelles tchadiens attaquaient brutalement Adré, dans l’est du pays. Le 13 avril dernier, ils lançaient l’assaut sur N’djamena. Beaucoup alors disaient que les jours d’Idriss Deby étaient comptés. Et puis aujourd’hui, en grande pompe, c’est son investiture. Alors est-ce que Idriss Deby ne tient pas là une fière revanche?
Je ne pense pas Monsieur Nageotte. La survie du pouvoir de Idriss Deby, il la doit simplement à l’aide logistique de la France, du dispositif Epervier. Mais véritablement, le peuple tchadien est complètement en situation de séparation totale avec le pouvoir et le pouvoir était perdu. Non! Non! Il ne s’agit pas du tout d’une relance du régime de Idriss Deby. La crise persiste, elle est grave, elle est sociale, elle est politique. Une solution urgente s’impose.
En tout cas voilà 16 ans qu’il est au pouvoir. On disait Idriss Deby très malade. Quel est le secret de sa longévité?
Longévité, l’arbitraire! Je crois que cela fait quelques années déjà que l’ensemble des problèmes a été réglé de manière militaire et de manière violente. Que le peuple vit dans la misère. Que aujourd’hui, la situation est plus grave qu’elle l’était. Simplement, la militarisation excessive de la lutte politique au Tchad retarde un tout peu les solutions. Surtout, lorsque effectivement, des pays acquis à la démocratie font preuve d’une complaisance qui nous écœure un tout petit peu.
Les grands partis d’opposition ont boycotté le dialogue politique de fin juillet comme si les opposants avaient plutôt misé sur la rébellion armée. Est-ce que les opposants ont adopté la bonne stratégie finalement?
Les opposants ont adopté une excellente stratégie parce que je considère personnellement que lorsqu’on n’est pas d’accord, on doit savoir dire non! Nous avons tous été à la Conférence Nationale Souveraine de 1993. Nous avons tous choisi le cheminement démocratique. Nous regrettons profondément que Idriss Deby, après de vaines promesses, ait complètement tourné le dos et après quelques alternoiements qui ont permis à quelques allers-retours de certains membres de l’opposition aujourd’hui, la situation est telle qu’un certain nombre de partis, ancrés dans le pays, ayant une tradition démocratique, veulent que les choses changent. Et c’est une bonne chose qu’ils aient refusé un dialogue singulier. Parce que le dialogue de monsieur Deby est un dialogue singulier. Avez-vous déjà vu quelqu’un dialoguer seul. Il a dialogué seul. C’est quand même quelque chose. Il n’y a pas de regret, Monsieur Nageotte.
En tout cas, le président Deby semble avoir beaucoup d’amis. Il y a eu un sommet de la CEMAC hier. La France envoie son ministre des affaires étrangères Philippe Douste-Blazy à N’djamena pour l’investiture. Est-ce que ce ne sont pas autant des signes forts de soutien au président Deby.
Après 16 ans de pouvoir, ça ne fait pas beaucoup, Monsieur Nageotte. Et puis, la présence d’un ministre des affaires étrangères français au Tchad ne nous surprend pas. Il fallait le minimum pour ça. Non! Les choses sont beaucoup plus sérieuses que ça. Bien évidement je ne souhaite absolument à aucun prix que mon pays soit isolé, marginalisé par rapport à l’Afrique. Que des réunions formalisées comme la CEMAC et autres réunions de l’Union africaine doivent continuer à se dérouler. C’est pas des événements politiques Ca n’a rien à voir avec le dialogue singulier Monsieur Majotte
Le 26 juillet, le Tchad et le Soudan ont signé un accord en vue de la normalisation de leurs relations et Abdoulaye Wade réunit les deux présidents mercredi prochain à Dakar. Est-ce que là encore, contre toute attente, Idriss Deby Itno ne renverse pas une situation de rupture avec le Soudan qui aurait pu lui être fatale?
Monsieur Majotte, je serais peut être répétitif, mais je pense que Idriss Deby ne renverse rien du Tout. La logique de relation d’état est têtu et normal. Il existe la situation du peuple. Savez-vous comment vit le peuple tchadien aujourd’hui? La crise sociale au Tchad est terrible. La discorde entre le pouvoir et son peuple est manifeste. Et c’est ça qui est le vrai problème que nous devons résoudre. Mais ce qui est réglementaire doit se poursuivre. Nous ne voulons pas l’anéantissement de notre pays. Nous sommes des patriotes.
Par ailleurs, le Tchad vient de renouer des relations diplomatiques avec la Chine de Pékin au détriment de Taiwan. Dans quel but d’après vous.
Oh ben, mais c’est toujours pour des buts mercantiles. Excusez-moi, mais c’est difficile de parler de soi. Je voudrais vous dire que j’étais premier ministre lorsque Monsieur Idriss Deby m’avait proposé de rompre les relations diplomatiques avec la chine. Mon refus a été catégorique. Parce que Taiwan nous proposait quelques espèces sonnantes et trébuchantes qui ont disparu depuis. Non, je ne peux que me féliciter du fait que le Tchad renoue ses relations avec la Chine. Un grand pays, avec une grande tradition, un grand peuple, de grandes espérances et une grande histoire.
Et, est-ce qu’il n’y a pas de raisons purement politiques aussi à ce rapprochement …
Bien sûr! bien sûr!
… puisque la chine est très liée au soudan, étant son premier acheteur du pétrole. Est-ce que N’djamena n’est pas en train de pénétrer l’axe Khartoum-Pékin
Bien évidement, ce que recherche le gouvernement. Mais le gouvernement est très étranger à la logique de la lutte des peuples et des souffrances qu’ils endurent. Et que ces souffrances conduiront à la prise des mesures nécessaires pour le changement. Je vous assure, je le pense très sincèrement.
Fidel Moungar, vous avez quitté vos fonctions de premier ministre en 1994 et depuis vous vivez en France. Est-ce le meilleur moyen de faire de la politique au Tchad. Le président Deby vous a dit, par exemple, moi je ne suis pas arrivé au pouvoir par un vol d’air France.
Oui! Oui! Au cours d’une discussion, il m’a même dit que je voulais gouverner le Tchad comme on le fait au palais Bourbon. J’avoue que chacun de nous à sa culture. J’avoue que, bon je ne suis qu’un simple médecin chargé de sauver des vies. Mais j’avoue que je me suis intéressé à la politique. Et que je crois que ce qui est mieux doit être imité. Oui! J’ai quitté le Tchad après que mon gouvernement était renversé, simplement parce que mon pays ne m’a pas proposé du travail. Vous savez, le Tchad a besoin de médecins. J’ai demandé un poste de médecin attaché à l’hôpital de N’djaména qui m’a été refusé. La France m’offre généreusement par rapport à ma carrière et mon travail un poste de praticien hospitalier. Et voila, je suis un exilé économique. Je le regrette profondément pour la cohérence de mon action. Je le regrette et je suis pressé que ça change
Fidèle Moungar, merci.