Toumaï : Histoire des Sciences et Histoire d’Hommes – Alain Beauvilain

Mahamat Adoum, Ahounta Djimdoumalbaye, Fanoné Gongdibé (qui tient Toumaï) et Alain Beauvilain Histoire des Sciences.
Les découvertes paléontologiques au Tchad.

Des fossiles de plantes dévoniennes et carbonifères recueillies au Ouaddaï sont signalés en 1924 dans les comptes rendus de l’Académie des Sciences. La Mission de Dalloni, professeur de géologie à l’université d’Alger, au Tibesti (décembre 1930 – mars 1931), décrit de nombreux fossiles de l’ère secondaire. A la même époque, des fossiles de mammifères sont signalés à proximité du lac Yoan à Ounianga Kebir. Dans les années cinquante, géologues et hydrogéologues font état de nombreux fossiles dans le Sahara tchadien, notamment dans le Djourab. Jean-Louis Schneider, du BRGM, localisera des sites fossilifères sur sa carte hydrogéologique.

Le 19 mars 1961, Tchadanthropus uxoris est mis au jour sur un gisement découvert par le géologue Jacques Barbeau. Son nom, qui signifie ‘l’homme du Tchad de l’épouse’, lui est donné par Yves Coppens en hommage à sa jeune épouse, Françoise. Il est présenté à l’Académie des Sciences le 29 mai 1961 dans une communication intitulée ‘Découverte d’un Australopithéciné dans le Villafranchien du Tchad. Ce fossile bien mal fossilisé (une copie est au Musée National de N’Djaména dans la salle que j’ai réalisée avec le concours financier de sociétés tchadiennes), présenté comme ayant un million d’années, puis 300.000 ans, aurait moins de 100.000 ans, selon des fossiles présentant sa même texture très particulière que notre mission de janvier 2000 a mis au jour.

En 1991, le fondateur du Centre National d’Appui à la Recherche (CNAR), le Docteur Abakar Adoum Haggar et moi-même, soucieux de relancer une recherche scientifique qui prenne en compte d’autres secteurs que ceux de l’élevage ou de l’agriculture, décidons de choisir d’intervenir dans l’approfondissement des connaissances sur le volcanisme du Tibesti et sur celles des fossiles de la cuvette tchadienne. Ces deux domaines paraissent en effet pouvoir donner des résultats importants. En 1992, j’effectue une longue mission dans le BET qui confirme l’intérêt de ces choix. Je contacte alors le professeur Pierre Vincent, volcanologue, co-auteur de la carte géologique du Borkou-Ennedi-Tibesti et d’une thèse sur le volcanisme du Tibesti, et le professeur Michel Brunet, qui travaillait dans le nord du Cameroun où il avait trouvé des dinosaures.

Les missions volcanologiques, entreprises dès avril 1993, connaîtront leurs résultats les plus spectaculaires avec l’exploration de l’impact géant de météorite d’Aorounga dans l’Ennedi et la découverte de celui de N’Gwéni-Fada, également dans l’Ennedi.

La première mission paléontologique n’aura lieu qu’en janvier 1994, le professeur Brunet montrant en 1993 des réticences pour venir au Tchad. C’est en janvier 1995, en toute fin de la seconde mission, que je ramène notre petite expédition de deux véhicules et de six personnes dans le secteur dit de Koro-Toro. Là, sur le site de KT 12, Mamelbaye Tomalta, chauffeur de la DRGM, met au jour Australopithecus bahrelghazali, de son nom usuel ‘Abel’, en hommage à un minéralogiste de l’Université de Poitiers décédé du paludisme en 1989 sur l’aéroport de Garoua dans l’avion sanitaire qui aurait dû l’évacuer.

En janvier 1996, Mahamat Kasser, ingénieur à la DRGM, met au jour sur le site de KT 13 un demi-maxillaire d’australopithèque tandis que moi-même, sur le site d’Abel, découvre une prémolaire supérieure.

Ces premières missions n’ont été possibles que grâce à l’appui des moyens matériels de la DRGM-Projet Minier et de ses géologues tchadiens, Ali Moutaye et Mahamat Kasser, que le Docteur Abakar Adoum Haggar a sollicités. L’apport logistique de l’Armée française permet en 1996 une mission plus importante. C’est à partir de 1997 que la découverte d’Abel donne les moyens financiers de développer des missions importantes, se déroulant de janvier à mars et faisant appel à plusieurs dizaines de personnes. Ces missions ne mettent au jour aucun nouvel hominidé. Même pas une simple dent!

En juillet 2000, hors de la fenêtre climatique définie par Michel Brunet, j’organise une courte mission avec deux véhicules. En font partie des personnels appartenant au CNAR : moi-même, Docteur d’Etat, Fanoné Gongdibé, licencié es sciences, ingénieur détaché de la DRGM, Ahounta Djimdoumalbaye, licencié es sciences, et Mahamat Adoum. Fanoné met au jour le 20 juillet 2000 une mandibule d’australopithèque que Michel Brunet, à Paris, en septembre 2000, me décrira comme étant celle d’un mâle, l’holotype ‘Abel’ devenant alors une femelle (changement de sexe qui ne serait pas le premier en paléontologie).

Comme le maxillaire de janvier 1996, cette mandibule n’a toujours pas fait l’objet d’une publication scientifique.

Début juin 2001, je convaincs le Docteur Baba El Hadj Mallah, second directeur du CNAR, de signer un ordre de mission pour les mêmes hommes. Mon intention est d’explorer le contrebas d’un talus de plusieurs dizaines de kilomètres dans le secteur dit de ‘Toros-Ménalla’. Ce talus, visible sur les cartes, n’avait pu faire l’objet d’un consensus permettant son étude. Lors de la mission de décembre 2000, Michel Brunet décide d’orienter les recherches futures dans la direction opposée. C’est donc ce que feront les missions de janvier à février 2001.

Le contrebas d’un talus offrant des terrains plus anciens, dégagés au fur et à mesure du recul du talus, il paraissait pour moi fondamental d’étudier ce secteur de manière exhaustive. Nous nous mettons en route le 09 juillet. Le téléphone satellitaire du projet, relevant du laboratoire de l’université de Poitiers, n’étant plus fonctionnel depuis des semaines, il se déclarait ‘out of time’, c’est le prêt d’un autre téléphone par une personnalité tchadienne qui permet cette mission. C’est ainsi que le 19 juillet 2001 l’équipe du CNAR met au jour Sahelanthropus tchadensis, de son nom usuel ‘Toumaï’. (Pour plus de détails sur les circonstances de cette découverte, voir mon livre ‘Toumaï, l’aventure humaine’, paru en 2003 aux éditions de La Table Ronde, ou les sites http://www.chez.com/paleotchad et http://site.voila.fr/Toumaye, et en anglais, le livre d’Ann Gibbons, ‘The First Human’, paru aux USA en avril 2006 aux éditions Doubleday).

Histoire d’Hommes.

Les faits sont donc simples. Pourtant la lecture d’articles de presse, la diffusion d’émissions paraissent accréditer des faits différents.
S’agit-il d’erreurs ou de la capacité de la langue française à véhiculer du rêve ?
Suite à une rencontre le 04 juillet 2002 avec Michel Brunet, Madame Haigneré, Ministre chargée de la Recherche et des Nouvelles Technologies, signe le 11 juillet un communiqué de presse intitulé ‘Félicitations au professeur Brunet pour sa découverte du crâne de Toumaï’. Effet de titre que ne confirme en rien le texte !

Depuis 2002, selon les sources, c’est tantôt Michel Brunet qui découvre Toumaï, tantôt il le découvre en association avec l’ « étudiant » Ahounta Djimdoumalbaye (rapport évident du maître à l’élève), tantôt la découverte est faite par Michel Brunet et son équipe, la MPFT.

Initié dès juillet 2002, un film est produit par la société Gédéon : ‘Toumaï, le nouvel ancêtre’. Ce documentaire scientifique est placé sous le haut patronage d’Idriss Déby, qui y apparaît à plusieurs reprise. Il est diffusé en Belgique et en Suisse dès les premiers jours de janvier 2006, des télévisions francophones co-productrices l’ayant programmé comme l’un des grands évènements des fêtes de fin d’année. France 2, également co-productrice, ne le diffusera qu’en mars. Depuis cette date, cette télévision du service public le commercialise sur internet avec l’argumentaire suivant : ‘Documentaire sur Toumaï, hominidé découvert par le paléoanthropologue Michel Brunet et la Mission Paléoanthropologique Franco-Tchadienne (MPFT).

Description du produit

Toumaï, âgé de 7 millions d’années, est la plus ancienne espèce connue d’hominidés, et a été découvert par le paléontologue Michel Brunet.

Lorsque Michel Brunet et la Mission Paléoanthropologique Franco-tchadienne découvrent un crâne dans le désert du Djourab au Nord Tchad…’

Bien entendu le film ne montre rien de tel. Toumaï est là, dans la main de Fanoné Gongdibé, dès les premières images. Pour sa partie dans le désert, le film a été tourné en février 2004 lors d’une tempête de sable ce qui n’a aucun rapport avec les conditions climatiques prévalant au mois de juillet. La presse retient évidemment que la découverte a été faite par Michel Brunet…

En avril 2006, Ann Gibbons, spécialiste de l’évolution humaine à la revue américaine ‘Science’, publie un livre retraçant toutes les grandes découvertes de paléoanthropologie : Les conditions des découvertes faites au Tchad sont décrites avec soin. Michel Brunet, qui n’a mis au jour aucun fossile d’hominidé, y apparaît comme un chercheur affrontant des conditions extrêmement périlleuses pour faire avancer la connaissance. ‘Ses aventures sur le terrain sont légendaires… menacé par des gens brandissant des fusils au Tchad’, ‘Année après année, il quitte son laboratoire à l’université de Poitiers… pour retourner sur le terrain, recherchant de nouveaux sites dans le désert du Djourab au moyen d’un 4X4 de location avec à peine assez d’eau pour se laver les dents’, … ‘Les conditions sont décourageantes même selon les critères de Brunet. Certaines années, les tempêtes enfouirent leurs tentes, les piégeant à l’intérieur pour plusieurs jours durant lesquels ils survécurent en consommant des pâtes et du thon, du riz et des sardines. Quand ils sont finalement capables de se risquer à l’extérieur…’.

Affirmations étonnantes car le projet de recherche a été doté de quatre véhicules 4X4 neufs en 1996 et par ce que les chercheurs n’ont jamais utilisés de véhicules de location. Par ailleurs, depuis 2000, il n’est plus fait recours aux tentes de l’Armée française, les grands camps ayant pour effet de sédentariser les équipes avec tous les inconvénients de cette situation. De même, le petit avion ULM, financé par la Région Poitou-Charente, livré en 1997, a été abandonné pour la recherche en 1999… avant qu’il ne s’écrase sur l’aéroport de N’Djaména fin 2004.

Quant aux circonstances de la découverte d’Abel les voici décrites dans le livre ‘The First Human’ : ‘Alors que le soleil se lève sur son bivouac dans le désert du Djourab, Michel Brunet s’assoit sur son lit de camp et voit des nomades apparaître au-delà des dunes avec leurs dromadaires, presque comme une apparition dans la lumière du petit-matin. Dans un premier temps, il se crispe, se demandant si ces femmes et ces hommes arabes sont des combattants comme cette tribu du nord qui avait engagé la guerre contre des tribus du sud pendant trente ans sur cette terre désolée, la polluant de mines…. il réalise que ce sont des chameliers goranes qui parcourent la région à la recherche d’eau…’. Au cours de la prospection du site d’Abel nous ‘ faisons attention de ne pas toucher quoi que ce soit de métallique au cas où ce serait l’une des mines oubliées par les rebelles nordistes…’.

Comment de paisibles chameliers arabes, allant en famille abreuver leurs animaux au puits de Bir Soudan, peuvent-ils être pris pour de dangereux rebelles ? Pourquoi notre équipe doit-elle éviter les objets métalliques, mines potentielles, alors qu’il n’y a aucun objet métallique sur les sites ? Ainsi, sans que j’en aie eu conscience nous l’aurions échappé belle en quasi permanence ! En fait, il doit s’agir de thèmes récurrents dans les déclarations faites à la presse. Déjà le Time du 22 juillet 2002 décrivait le lieu de découverte de Toumaï avec ‘des morceaux rouillés de chars dispersés tout autour, restes de trente ans de guerre civile’.

Mais ce sont des textes de seconde main. J’espérais donc que Michel Brunet mettrait les faits au clair, qu’il ‘commettrait’, comme il l’écrit par fausse modestie, un livre. Ce fut fait le 15 juin 2006 après, selon son expression, qu’il eût ‘cédé à la bienveillante pression d’Odile Jacob’. Il me rend un bel hommage dans ce livre car, bien que jamais nommé, je suis présent au fil du récit sous divers qualificatifs.

L’exposé du livre est fortement marqué d’anthropomorphisme. Si Abel et Toumaï ont été baptisés, on peut penser qu’ils sont de bons chrétiens car ces mâles sont monogames (lectrices, soyez vigilantes, c’est une question de longueur de canines) et par ce que Toumaï vivait déjà en famille. De fait, nous avons retrouvé plusieurs individus sur un même site mais ces individus vivaient à quelques décennies, siècles ou millénaires de distance, leurs fossiles étant recouverts de gangues sédimentaires de nature différente….

Recherchant un milieu naturel comparable à celui dans lequel vivait Toumaï, Michel Brunet commence par parcourir le Kruger Park d’Afrique du Sud, ‘immense réserve de plus de 1000 km du nord au sud’… mais la lecture des cartes lui en donne moins de 400, ce qui est déjà beaucoup mais c’est moins impressionnant que mille. Finalement son choix s’arrête sur le delta de l’Okavango pour des raisons que les connaisseurs des parcs nationaux camerounais de Waza ou de la Kalamaloué, sur les bords du Logone et du Chari, ou du parc tchadien de Zakouma ne peuvent comprendre. Que manque-il à ces parcs pour être le cadre du film ? Le ‘making of’ de celui-ci nous l’apprend. Dans l’Okavango, des éléphants de cirque ont été réintroduits et se prêtent bien à des mises en scène alors que les éléphants des berges du Logone et du Chari font régulièrement des victimes, y compris chez les Européens, le dernier étant un capitaine de gendarmerie. Les berges actuelles du lac Tchad, parcourues par un troupeau relictuel d’environ 150 éléphants offrent aussi un cadre superbe. Choisir de réaliser le film dans le berceau historique de Toumaï aurait incontestablement constitué une bonne publicité pour la région, juste reconnaissance de la part d’un homme qui doit toute sa notoriété à la cuvette tchadienne!

Laissant le soin aux paléontologues de rectifier les erreurs, le ‘logisticien’, qualificatif qui sert à me décrire dans ce livre, constate malheureusement que la narration est bien peu fidèle à la réalité : erreurs de lieux, de dates, de participants, de faits. L’auteur a-t-il appliqué à la narration de sa quête de nos origines dans l’immense Sahara tchadien la même technique qu’à la narration de son enfance : ‘qu’importe après tout que je l’ai réinventée’. Inutile de multiplier les exemples, un seul suffit. Il est édifiant!

‘confronté à une menace, l’Homo sapiens redevient un homme pensant. J’en ai fait moi-même l’expérience en 1994 en changeant seul le radiateur de ma Jeep qui venait d’exploser’ (page 154). Il est vrai que cela se serait passé ‘au beau milieu du désert, à 600 km du premier point d’eau et du garage’ (même page). Pourtant il ne devait pas être seul puisqu’en 1994 il se déplaçait dans ‘un cortège de trois voitures’ (page 50).
Bien que le désert tchadien soit grand, il n’y a pas de lieu qui soit à 600 km du premier point d’eau et même du premier garage.

En réalité, la scène se passe le dimanche 8 janvier 1995 en tout début de matinée à une quarantaine de kilomètres au nord de Moussoro, où nous avions passé la nuit au camp du détachement français. Nous sommes dans la vallée peuplée du Bahr el Ghazal, à guère plus de 300 km de N’Djaména. Le radiateur n’a pas explosé. Il commençait à chauffer. Nous sommes revenus à Moussoro où les militaires nous ont déposé ce radiateur. Avec Ali Moutaye, aujourd’hui Directeur des Recherches Géologiques, je suis revenu à N’Djaména, avec le second véhicule, celui du Projet Minier (notre ‘cortège’ ne comptait en 1995 que deux véhicules) pour acheter un radiateur. Pendant notre absence, avec un véhicule de l’Armée française, Michel Brunet prospecte les ouadis proches de Moussoro. Il met au jour des fossiles récents d’hippopotame. Nous sommes de retour à Moussoro le lendemain, accompagné de mon épouse, marocaine. Raison pour laquelle trois nationalités sont représentées le 23 janvier lorsque Mamelbaye Tomalta met au jour Abel.

Les militaires mettent en place ce nouveau radiateur et le mardi matin nous reprenons la route pour Faya et la falaise de l’Angamma. C’est le début d’une mission dont le succès génèrera toutes les missions suivantes.

A cette même page 154, Michel Brunet écrit avoir vu ‘parfois des petits groupes de pillards qui naviguent, dotés d’une forte puissance de feu, au milieu de la mer de sable’ …dans de ‘clinquants 4X4’. Pour ma part je n’ai croisé, uniquement sur la grande piste N’Djaména – Faya et sans le moindre incident, que l’Armée Nationale Tchadienne et la Garde Présidentielle. Or, nous étions toujours ensemble…

Prudent, le héros prend ses précautions : ‘Mon privilège, en tant que chef de mission, c’est de dormir à l’abri de la roue avant gauche de ma jeep, à portée du téléphone satellite et de la balise Argos de détresse’ (page 156). Le premier signal codé de cette balise concernait l‘annonce de l’enlèvement de MB !

Tout ceci n’est qu’une dramatisation de situations plus ordinaires. Faut-il prétendre risquer sa vie pour être un héros de la science ? Comment l’Etat français pouvait-il laisser ses universitaires prendre autant de risques ? De fait, à plusieurs reprises, les services de l’ambassade de France ont suspendu les missions d’universitaires français, me laissant l’initiative de les mener à bien seul avec la partie tchadienne. L’un des dangers de la recherche en ‘milieu extrême’ réside aussi dans l’imagination d’Homo sapiens , ‘l’homme pensant’ du livre ! En réalité, la recherche des fossiles dans le Sahara tchadien ne relève pas des compétences d’Indiana Jones.

Il est dommage que l’auteur passe de l’oral à l’écrit, de la conférence tout public au livre sans changer de registre. Dommage pour nous tous.

En effet, Toumaï est entré dans l’Histoire. Il convient d’écrire celle-ci sur des bases exactes. Grâce à la qualité de mon travail, il ne s’est rien passé de tout ce qui aurait pu arriver quand on laisse courir son imagination. De fait, le ‘logisticien’ a maîtrisé les divers risques, du paludisme à l’accident de voiture. Fièrement, il peut dire qu’il a rendu à chaque épouse son mari, à chaque parent son enfant. Il n’a dû évacuer qu’un seul malade depuis le Djourab, Michel Brunet, déploré qu’un seul accident de véhicule nécessitant un retour à N’Djaména pour réparation, une sortie de route de Michel Brunet. Le ‘logisticien’ note que depuis son départ, deux véhicules sont tombés d’une dune, heureusement sans faire de blessé.

Michel Brunet a d’ailleurs reconnu la qualité de mon travail, mais de manière très confidentielle, en 2005 dans la revue de l’Académie des Sciences d’Afrique du Sud. Par contre, il ne peut accepter que d’autres que lui aie des résultats de nature scientifique. Le géographe que je suis a trouvé la plupart des sites fossilifères. Quoi de plus naturel puisque ce qui lui était demandé avant tout était de faire passer les équipes là où il y avait du potentiel. A lui donc le travail sur cartes, photographies aériennes voire images satellitaires. Le potentiel, non seulement il l’a trouvé, mais il y a ajouté la qualité. C’est la raison pour laquelle il était présent sur le terrain à chaque découverte d’hominidé.

Dans son livre, que dit donc Michel Brunet des circonstances de la découverte de Toumaï ? Déclarant qu’il est à Paris lors de la découverte, il croît bien de préciser qu’Ahounta s’est isolé pour trouver le fossile. Sur un terrain plan, sableux et sans végétation, sur lequel ce qui n’est pas sable est fossile, devant une boule grosse comme un ballon de hand-ball, pour quelle raison et comment fait Ahounta pour s’isoler de Fanoné qui était à quelques pas de lui ? Faut-il briser l’équipe de terrain dans un livre qui cherche à prôner les valeurs d’une équipe ?

Mais le lecteur, le client, lit d’abord la quatrième page de couverture qui commence par : ‘J’ai attendu vingt ans avant de trouver le premier pré-humain fossile. D’abord Abel, puis Toumaï…’ De plus, sur internet, les sites marchands présentent le livre avec ce ‘Mot de l’éditeur : … Michel Brunet, le découvreur de Toumaï…’ Plus prudentes, sur leur site internet, les éditions Odile Jacob reprennent la 4e page de couverture en supprimant la première phrase. Comme quoi…

Avec cette page de couverture, il ne faut pas s’étonner du nombre de recensions dans lesquelles il est présenté comme le découvreur de Toumaï. Le mensuel ‘Science et Vie’, édition de septembre 2006, va plus loin, précisant : ‘en 2001, il exhume un autre ‘inattendu’ : Toumaï…’. Le Larousse doit-il à l’avenir revoir sa définition : ‘exhumer = extraire de la terre’ ? Il est vrai que le même commentateur nous apprend, sous forme de citation, que Michel Brunet se ‘consacre depuis quarante-quatre ans’… ‘à raconter aux hommes comment la séparation entre les hominidés et les grands singes s’est opérée’. Ceci nous reporte en 1962 lorsque l’auteur a 22 ans. Pourtant rien de tel dans le livre où l’auteur nous décrit comment de 1966 à 1975 il conduit sa thèse de doctorat d’Etat sur les mammifères du Périgord !

Fin août 2001, devant la porte de mon bureau à N’Djaména, Michel Brunet a trouvé Toumaï. Il a bien de la chance car certains chercheurs passent toute leur vie sans avoir ‘de grain à moudre’. Un chercheur n’est pas un trouveur. Le Général de Gaulle l’avait bien compris en déclarant ‘des chercheurs, on en trouve, des trouveurs, on en cherche’ La République du Tchad et le CNAR avaient une équipe de trouveurs. Maintenant que nous lui avons trouvé le fossile, il lui est facile de nous déclarer atteints de ‘la fièvre de l’hominidé, la terrible hominid fever …’ (p. 76). Mais est-ce nous qui, lors des remerciements dans l’article de Nature annonçant la découverte de Toumaï, après les ministères tchadiens et français, l’ambassade de France, …, avons remercié Lubaka ? Je ne vois pas le rôle de celui-ci dans cette action de recherche.

Le crâne de Toumaï est un fossile fabuleux. Le décrire c’est bien. Tout paléoanthropologue est capable de le faire. C’est la raison même de son métier. Imaginer l’endroit où il est possible de le trouver et réaliser la mission qui le trouve voilà qui est plus difficile. C’est cela la vraie réussite.

Herbert Thomas, sous-directeur honoraire du Laboratoire de paléoanthropologie et préhistoire au Collège de France, consacre les dernières pages de son livre ‘D’où vient l’homme ? Le défi de nos origines’ (Acropole, 2005) à la découverte de Toumaï. Après avoir précisé qu’entre ‘l’inventeur et le découvreur, il n’y a qu’un espace étroit qui permet à l’histoire de jouer sur les mots’, il précise qu’ ‘en ce début du mois de juillet 2001 Alain Beauvilain et ses coéquipiers ont apporté l’essentiel sans qui, sans doute, tout le reste n’aurait jamais été’.

Alain Beauvilain


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