Le problème de la définition des Institutions Républicaines véritablement adaptées et légitimes :

Enoch Djondang retour aux propositions de M. Joël OULATAR, président du parti Tchad Avenir

Il y a quelques semaines, notre compatriote Joêl Oulatar sortait de son mutisme pour faire quelques propositions à la classe politique et aux élites tchadiennes, en cinq points :

  • L’institution d’une seconde chambre du parlement;
  • L’élection du président au suffrage uni¬versel indirect;
  • Le mandat présidentiel de sept ans avec une évaluation à mi parcours;
  • Nomination à certaines fonctions après avis du parlement;
  • Suppression du poste de Premier Minis¬tre; Suppression du conseil hebdomadaire des Ministres et détermination du nombre des ministères aux dénominations précises dans la constitution.

On aurait pu s’attendre à de véritables débats et à des contres propositions de certains chefs de partis politiques dans la presse locale et sur Internet. Malheureusement, seul l’intrépide Ahmat Mahamat Hassan, juriste et doyen de la faculté de droit de l’Université d’Abéché, avait réagit dans Le Temps N°496 du 25 au 31 octobre 2006, en émettant un avis d’expert et de citoyen engagé. C’est comme si les sujets soulevés par M. Oulatar n’étaient pas encore ceux qui devraient focaliser l’attention des partisans d’une table ronde « inclusive ». Sauf à exacerber les conflits de personnes et de clans opposés pour le pouvoir, on ne voit pas comment un tel dialogue « intégral » pourrait accoucher de solutions durables pour le pays quand les acteurs eux-mêmes n’ont pas encore réfléchi aux thèmes les plus délicats de l’imbroglio tchadien ? Qu’est-ce qui empêche les acteurs politiques de préciser leurs pensées ? Qui devra le faire à leur place ? Si le système actuel était parfait et que ce n’était qu’une question d’homme, où sont ces hommes exceptionnels que le peuple attend depuis (comme le disais le regretté Ahmat PECOS) ?

Passons cette polémique inutile et lassante pour revenir au fond des sujets évoqués par M. Oulatar. Pour ceux qui auraient encore dans leurs archives le document intitulé « Contribution à la réflexion sur les thèmes généraux du débat national » (LTDH, 04 janvier 1993) distribué aux délégués à la CNS, ces sujets y étaient déjà largement traités. Si les acteurs politiques relisaient ce document aujourd’hui, ils se rendraient compte que la situation de pré chaos actuelle est en partie due à leur grande négligence. En plus des Actes de la CNS, il y a des supports de réflexion solide qui nous auraient épargné tous ces errements meurtriers depuis 1993. Il n’est pas sûr que les chefs de partis politiques et ceux de la rébellion armée aient lu les bonnes références documentaires sur le Tchad. Ils auraient pu élever un peu plus leur niveau de civisme et de vision.

Nous avons au Tchad, comme un peu partout en Afrique, un problème de définition de nos Institutions républicaines, pour qu’elles soient légitimes et durables. Jusqu’ici, en dehors des chartes de transition, les constitutions tchadiennes n’ont été qu’une pâle copie de celle de la Ve République française. Elles ont intégré l’essentiel des structures de séparation des pouvoirs et de reconnaissance des libertés fondamentales. Cependant, elles n’ont pas d’ancrage sociologique réelle, ce qui en fait des « katkat sakit » (« simples papiers ») au gré des rapports de forces politico-militaires. La question capitale de la représentation nationale a été souvent sciemment esquivée ou dénaturée, pour régulariser les pouvoirs déjà installés par la force des armes. Au lieu d’imposer la géopolitique nord-sud, le régime de M. Hissène Habré de l’époque avait défini la représentativité parlementaire sur la base d’un député pour 30 000 habitants. Malgré l’absence de données démographiques actualisées, cette décision avait le mérite de respecter la taille réelle de l’électorat. Le BET, région d’origine du dictateur, n’avait que trois députés. Les élections législatives qu’il réalisa en 1990 étaient les plus honnêtes qui soient dans l’histoire de notre pays. Bien que sous le parti unique UNIR, le parlement avait des députés indépendants élus valablement par les populations. On peut donc affirmer que ce parlement là était plus authentique que tous ceux qui l’ont suivi à l’ère de la démocratie et des compromis boiteux et hâtifs.

Là où le régime de Hissène Habré n’avait pas voulu faire jouer la légitimité du suffrage universel, c’était le fait de combiner le référendum constitutionnel avec une ré élection d’office de M. Hissène Habré. En effet, malgré le contrôle et l’autorité qu’il avait sur le pays, Hissène Habré, comme nombre de cadres du FROLINAT, savait où se trouvait la majorité électorale. Avec les rancunes et les déchirures cumulées, un scrutin honnête aurait immédiatement révélé la profondeur du clivage nord-sud, et la majorité « sudiste » n’aurait pas hésité un seul instant à sanctionner un pouvoir qui lui portait grief. Ce détail est très important pour comprendre la suite des évènements institutionnels.

Sous le régime de la constitution actuelle, l’anarchie a été créée en supprimant la base électorale parlementaire sagement élaborée par le régime passé. Ne pouvant plus assurer une régularisation « d’office » du pouvoir en place, comme lors du référendum de Hissène Habré, à cause de la règle de la majorité électorale de surcroît « sudiste » donc hostile, la solution matérielle a consisté en des truquages rocambolesques, en profitant aussi – il est vrai – de la multiplicité des candidats fantaisistes au fauteuil présidentiel. Mais les anomalies des consultations électorales présidentielles ne pouvaient assurer au système le contournement du suffrage universel. Les distorsions savantes seront, avec la complicité d’une frange de l’opposition sans logique, consignées dans deux directions : d’une part, le renversement de la majorité électorale par une majorité fictive issue du gonflement du nombre des électeurs dans certaines zones y compris les fameux nomades (cette politique a eu le soutien inavoué des élites manipulées dans la vraie fausse menace du retour des « sudistes » au pouvoir pour se « venger ») ; d’autre part, la consécration par la loi électorale d’une représentation fictive de l’électorat sur la base de la sous préfecture, créant ainsi une majorité parlementaire de fait et de façade en faveur de zones sous peuplées.

Ce qu’on ne dit pas, c’est que les pensées et préjugés qui ont accouché de ces énormités institutionnelles dans notre pays, font encore l’objet d’un large consensus dans certaines élites de notre pays. A cela, si l’on ajoute le fait que le recours à la rébellion armée se substitue, dans certaines zones, à l’existence de vrais partis politiques et des libertés démocratiques, nous nous retrouvons dans un schéma où tout sera toujours mis en œuvre pour que le peuple tchadien n’exerce jamais de façon claire, libre et conséquente sa souveraineté. Celui qui arriverait au pouvoir, et qui serait lui aussi issus de la même école anti suffrage universel, ne fera rien pour que le système change fondamentalement et que lui et son groupe politico-militaire clanique soit chassé par la majorité électorale tchadienne, poliment du pouvoir conquis armes au poing. De ce point de vue, les intellectuels tchadiens devraient avoir le courage de séparer les amalgames qui sèment la confusion et nuisent à la démocratie et au progrès social. Même en RD Congo, d’où nous vient l’inspiration du dialogue « inclusif », les chefs de guerre ont été contraints de se soumettre au suffrage universel intégral. Alors qu’aucune des rébellions armées, ayant rallié le régime, n’a pu jusqu’ici se transformer en vrai parti politique, selon les « accords » de réconciliation signés. Etait-ce un indice incontestable de l’incapacité de ceux qui recours au politico-militaire de s’adapter dans un contexte légal pacifique et libéralisé où un homme = une voix ? Si les intellectuels et les partis politiques continuent d’ignorer volontairement ce phénomène, notre pays ne sortira jamais des sentiers de la guéguerre et de la violence, malgré le nombre de tables rondes inclusives qu’on organiserait.

Il y a donc une problématique institutionnelle à résoudre absolument, en se détachant un peu des faits militaires actuels dont la lecture ne peut que diviser les tchadiens, patriotes convaincus et apatrides irrésolus. D’un côté, il faut redéfinir le profil de la fonction présidentielle et des règles d’accès et de départ, de sorte qu’elle ne soit plus une chefferie tribale, de l’autre que la représentation directe des populations dans leurs diversités permettent la participation de chacune à la vie nationale sans subir ou préjuger d’une marginalisation au profit de majorités réelles ou fictives. Plusieurs formules existent et méritent que les acteurs politiques en premier lieu et les intellectuels tchadiens en général se prononcent de façon responsable. Aujourd’hui, personne ne niera le fait que la défense d’une identité nationale est en train de disparaître au profit de replis tribaux ou régionaux. Personne ne peut nier que l’incapacité des partis politiques et même des politico-militaires de composer des directoires et des bases pluriethniques est une preuve de la profondeur des déchirures de notre société. Personne ne peut nier le degré très bas et désolant de civisme de nos populations qui profitent des passages des rebelles dans leur localité pour offrir un spectacle de pillages qui fait pleurer. Personne ne peut affirmer, la main sur le cœur, que les groupes armés, une fois au pouvoir, se démarqueront de la logique qui a caractérisé leurs prédécesseurs hostiles à une alternance par les urnes. Il y a, certes, les problèmes liés à la mauvaise gouvernance. Mais cela ne devrait pas occulter le fait que les vrais problèmes de fond sont largement antérieurs au régime actuel et correspondent à des cheminements contradictoires de blocs politico régionaux durant notre histoire récente.

Aujourd’hui, si l’on devait appliquer rigoureusement les règles de la démocratie intégrale et du suffrage universel, le parlement (à une ou deux chambres) comme le président de la république, seraient d’abord issus du bloc dit « banana » (Mayo Kebbi- Tandjilé), ensuite « sara » (Moyen Chari- Logones), puis « ouaddaî » (Est du Tchad), selon la réalité démographique. Je ne dis pas cela pour choquer mais pour faire réfléchir. Le pays est profondément divisé. La démocratie pratiquée jusqu’ici a accentué le tribalisme voire le clanisme, à commencer par la plupart des cadres. Un vote basé sur un homme = une voix réelle et non fictive, se grefferait directement sur ces clivages. Les tchadiens n’ont pas suffisamment évolué en matière de civisme et d’intérêt général pour voter en dehors de leurs attaches naturelles. Même si le meilleur candidat pour la direction du pays serait issus d’une région faiblement peuplée, ils préfèreront choisir le plus médiocre de leurs parents. Ainsi, par des voies régulières, on aura de piètres élus qui ne le seront pas sur la base de leurs programmes, de leur personnalité et de leurs aptitudes mais de la solidarité naturelle mécanique. Aussitôt élus, ces derniers se mettront à piétiner les minorités, les acculeront à la révolte et le cycle de la guéguerre reprendra de plus belle. C’est pourquoi il est important de régler dès maintenant cette problématique pour avancer vers la vraie paix puisque celle des hommes forts tarde. L’élection du Président de la République par le suffrage indirect, bien réglée dans ses mécanismes, pourrait valoriser cette fonction, la soustraire des luttes de clan et de la division nord-sud, mieux l’insérer dans le cadre démocratique aux côtés des autres institutions telles que le parlement et le pouvoir judiciaire. Les grands électeurs auront à choisir entre des personnalités déjà représentatives et ayant un profil acceptable au niveau de la justice. Même la grande Afrique du Sud connaît à merveille ce système !

Je propose donc aux lecteurs de relire des extraits de notre document à la CNS cité plus haut, pour alimenter le débat. Chapitre 10 : La forme de l’Etat § 3 Quelle forme de l’Etat finalement ? a) Régler la question du pouvoir par l’instauration d’un régime de type parlementaire : deux problèmes resteraient à être résolus par le recours à des mécanismes constitutionnels qui existent en droit, celui de l’élection du Président de la République, Chef de l’Etat, et celui des rapports gouvernement parlement.

  • Si l’élection du Président de la République du Tchad se fait au suffrage universel direct, il faut s’attendre à ce qu’il soit l’homme de la majorité ethnique ou régionale, et non pas l’homme de la Nation. Autrement dit le problème n’est pas que chaque tchadien vote son Président pour qu’il soit légitime. Il ne faut jamais négliger la réalité ethnique et démographique. Il faut que le Chef de l’Etat soit voté à un niveau supérieur, responsable, où les enjeux et les intérêts sont clairement affichés, pour qu’il soit le fruit d’un consensus national. Il faut de grands électeurs qui ont été eux-mêmes élus à la base par les citoyens. Ces grands électeurs, qui seront l’ensemble des élus locaux, sont censés connaître les intérêts et les enjeux pour lesquels ils doivent voter.
  • Les rapports entre gouvernement et parlement seront ceux du régime parlementaire, mais pour éviter une instabilité gouvernementale prévisible avec les ambitions personnelles, quelques solutions sont à envisager : i) Exiger une majorité très forte pour le vote de la motion de censure, une majorité qui dépasserait les clivages nord-sud d’une part, et exiger que la motion de censure soit motivée par rapport aux dispositions essentielles d’un projet de loi pour éviter de la personnifier. Ce schéma est valable au cas où il y aura un Premier Ministre constitutionnellement chef du gouvernement, pour une meilleure stabilité dans les institutions, les pouvoirs du Chef de l’Etat pourraient dans ce schéma être réduits à l’arbitrage, à l’armée, à la défense nationale et à la diplomatie, sans autre possibilité de pression sur le Premier Ministre que celle du parlement. ii) Dans le cas où il ne devrait pas avoir de Premier Ministre, mais un Président de la République très impliqué dans la gestion, il n’est pas bon d’exiger une motion de censure ni d’accorder un pouvoir de dissolution du parlement au Président de la république. Il faut faire en sorte qu’il n’y ait que des propositions de lois, ce qui renforcera les pouvoirs du parlement. iii) Dans un cas comme dans l’autre, il est nécessaire que le parlement puisse disposer de pouvoirs réels en matière financière, de coopération internationale et dans le domaine des libertés constitutionnelles, de manière à réduire la marge de manœuvre de l’exécutif et les risques de régionalisme et de glissement vers la dictature. (…)

b) Régler la question de la représentation nationale : quelle que soit la forme de l’Etat, le problème des équilibres internes reste le même : d’une part la réalité tribale, de l’autre la réalité régionale (nord-sud). On peut résoudre le problème tribal de deux manières:

  • Par l’instauration au Parlement d’une Chambre des Communautés qui représentera les ethnies et agirait en leurs noms. Il faudra alors résoudre le problème des critères de recensement des ethnies pour éviter des contestations locales (…) Ce système aura pour avantage de reconnaître une fois pour toutes le droit à la différence, mais il aura le grand inconvénient de creuser le fossé entre ces différences si les compétences de cette Chambre n’étaient pas limitées autour des questions de développement communautaire local.
  • On peut aussi choisir d’avoir plutôt des Assemblées régionales pour représenter au niveau d’une province la réalité ethnique. L’avantage est la création de centres de décisions et de gestion importants hors de N’Djaména, et le transfert de ressources humaines, financières et matérielles vers ces régions.

Par rapport aux solutions au problème tribal, voici quelques propositions pour résoudre la question régionale (nord-sud) :

  • Si l’on retient la solution d’une Chambre des Communautés pour le problème ethnique, il faudra la doubler d’une Chambre Politique qui représentera les préfectures sur la base d’un quota électoral correspondant à la démographie. Parce que les élus de cette chambre représentent des sensibilités politiques autres que les ethnies. Cette chambre aura des compétences plus élargies que la chambre des communautés par le simple fait qu’elle représente des solidarités internes qui vont au-delà des clivages ethniques. Ces compétences seront élargies aux domaines nationaux dont le règlement n’a rien à voir avec la réalité ethnique. Le problème qui se poserait est celui que le fossé entre la capitale et les provinces sera maintenu, puisqu’il n’y aura pas de relais local du système.
  • Si c’est la solution des Assemblées provinciales qui est retenue pour la solution ethnique, nous n’auront plus besoin que d’un Parlement unique au niveau central, qui jouera tous les rôles d’un parlement en régime parlementaire. Deux interrogations cependant : qui et comment seront élus les membres de parlement ? Quels seront les rapports avec les assemblées régionales ? Des mécanismes peuvent être mis en place pour résoudre ces questions.(…) Dans ce dernier cas, il n’y aura plus de quota ethnique mais une répartition unique par nombre d’habitant comme lors de la consultation électorale législative de 1989 au Tchad. Nous pensons qu’avec le système d’assemblées régionales et de chambre nationale unique, on aurait résolu en théorie un certain nombre de contradictions et d’incompatibilités tchadiennes. » Etc.

A ces réflexions de la LTDH pour la CNS en 1993, et qui restent d’actualité, j’avais apporté d’autres contributions personnelles (cf. dans archives www.ialtchad.com), notamment un article intitulé « Propositions à la classe politique tchadienne ». Dans cet article, me basant sur la mauvaise perception de la « défaite électorale » par les élites africaines francophones, j’avais proposé des formules compensatrices et valorisantes, avec l’idée maîtresse de respecter les suffrages, de les rendre honnêtes, en même temps que de préserver l’honneur et la survie des acteurs utiles de ce processus. La question des mandats et des nominations sensibles y étaient traitées. Aucune réaction n’a été enregistrée des lecteurs ! Et pourtant, les problèmes soulevés dans cet article sont ceux à l’origine des conflits majeurs dans plusieurs Etats que je ne citerai pas ici. On ne peut donc pas déterminer la nature exacte des conflits qui opposent les acteurs politiques tchadiens, dès lors qu’ils évitent tous le débat public contradictoire qu’ils ont savamment remplacé par les controverses haineux et hargneux. Pour compléter les éléments d’appréciation de la problématique soulevée par le frère Oulatar, deux aspects incontournables devraient être rajoutés.

1) Faut-il une seule loi pour tous ? Voici comment la LTDH avait abordé le sujet dans le document référé : « La réponse à cette question n’est pas évidente, eu égard à la réalité tchadienne. D’abord la loi au Tchad est toujours apparue non pas comme la première référence, mais plutôt la dernière après les traditions civiles, religieuses et politiques. Cela est dû essentiellement à sa conception étrangère et à son mode d’adoption par les institutions nationales. Son origine étrangère n’aurait pas été un handicap si la naturalisation de la loi avait été une proposition plutôt qu’une imposition néocoloniale. Du coup elle ne pouvait être acceptée que là où les valeurs occidentales étaient tolérées. Ailleurs, elle est synonyme de dénaturation. Aussi une partie des milieux islamisés la rejette au profit d’une charia locale modérée. Ensuite, aucune disposition de la loi tchadienne n’a été le fruit d’un compromis de mentalités obtenu après de larges consultations nationales. A tel point que dès les premières années de l’indépendance, la pratique des ordonnances a été privilégiée par tous les gouvernements, renforçant l’arbitraire. Dans ces conditions et quelle que soit la forme de l’Etat à adopter, la CNS doit se prononcer sur :

  • la primauté de la loi par rapport à tout autre référence coutumière ou religieuse ;
  • la validité de la loi grâce à l’établissement d’un système de proposition, d’adoption, d’application et de modification rigoureux, en faisant de la loi d’un consensus nécessaires et obligatoires de la nation.

Au cas où d’aucuns opteraient pour le maintien à un niveau sensiblement égal d’autres références coutumières ou religieuses par rapport à la loi, alors l’idée d’une partition des institutions et du pays est logiquement ouverte. Parce qu’on ne peut admettre le principe de l’égalité des citoyens et l’unicité de la loi et en même temps celui du maintien à un niveau institutionnel de valeurs et clivages qui s’y opposent fortement. Malheureusement, il y a eu des tentatives désastreuses d’imposer par une simple décision administrative, une coutume tribale sur les homicides au détriment et de la loi pénale et de l’égalité des citoyens. »

Cet aspect du problème n’est pas hors sujet, parce qu’il est l’une des causes de la fracture permanente de la cohabitation pacifique entre tchadiens donc de la construction d’une Nation. Nous ne voulons pas répondre aux mêmes références morales et légales et nous voulons forcer les uns à subir perpétuellement la loi des autres, celle de la jungle et de l’arbitraire ! C’est aussi pourquoi les palais de justice sont visés en premier lieu par les actes de vandalisme pendant les troubles. Rien ne peut donc réussir au Tchad tant que le pays ne se détermine pas clairement pour une forme unique de légalité. Autrement dit, si nous tenons à poursuivre dans la barbarie, ayons le courage de l’institutionnaliser dans nos lois nationales ?

2) Rétablir la Cour Militaire de Justice : la chose militaire s’est toujours présentée, dans notre histoire récente, comme l’expression de l’impossibilité du Tchad d’aller vers la modernité et le progrès. En effet, les guerres et les conflits ont partout leur classification, sauf dans notre pays. En dehors de la parenthèse de la 2e Division Blindée LECLERC et de l’année 1987 contre les troupes d’occupation libyenne, les autres faits politico militaires relèvent-ils de quel registre ? Le port d’un uniforme et d’une arme de guerre est synonyme de cauchemars pour nos populations, en faisant exactement le contraire d’une armée véritablement nationale et républicaine. Le sujet est sensible dès lors qu’il est facile de tuer, de torturer, d’humilier et de piller tout individu sans défense et en toute impunité. Depuis longtemps, les acteurs politiques ont classé ce sujet dans leurs tabous. Ils en sont même venus à emprunter la logique de l’apologie de ce mode de violence sans mesure dans les perspectives d’un dialogue national inclusif, un dialogue dans la douleur et la peur. Aussi, la LTDH avait réclamé à la CNS la réhabilitation de la Cour Militaire de Justice « pour juger les infractions spéciales d’ordre militaire, prévues dans le Livre II du Code de Justice Militaire, ainsi que les infractions de toute nature commises dans le service, dans les casernes et établissements militaires. Sont justiciables de cette juridiction les militaires et les individus assimilés aux militaires par la loi, les ordonnances et les décrets. L’importance de cette juridiction n’est plus à démontrer, dans le cadre de la mise en place d’une véritable armée nationale. En effet, la semblante armée qui ravage actuellement le pays comme des troupes d’occupation voudrait échapper à la loi et à sa mission en faisant valoir son caractère hétéroclite et ses antécédents révolutionnaires. Une telle juridiction, avec les moyens de son action et l’appui de la Nation, pourrait contribuer à la remise en ordre au sein des troupes pour le grand bien des citoyens longtemps otages de ces éléments non contrôlés ». Les Etats généraux de l’armée d’avril 2005 ont repris cette recommandation.

On ne peut aborder au fond les sujets soulevés par M. Oulatar sans établir tous ces liens de causalité et d’effet. M. Oulatar a eu le mérite d’élever le débat au-dessus des passions et de s’adresser à tout le monde : c’est ça le rôle d’un homme politique, celui de réfléchir pour les autres, dans la recherche du bien être collectif. Malheureusement, ses pairs préfèrent attendre la cacophonie des tables rondes où il n’y a pas de place aux démarches rationnelles. Attitude renforcée par leur mutisme pendant la période actuelle d’exception. Avec les actualités brûlantes, on ne peut pas comprendre que les leaders politiques n’usent pas des colonnes des journaux (malgré la censure préalable) et des sites Internet pour animer le débat sur les diverses questions d’intérêt des tchadiens. Qu’attendent –ils pour sortir la solution « magique » ? A mon humble avis, si ces leaders là jouaient véritablement leur rôle de concepteurs et de moralisateurs au jour le jour, la situation ne serait pas au bord du chaos. Les petits citoyens que nous sommes, avec nos réflexions isolées, ne pouvaient avoir la même influence sur les populations et l’opinion. Cette carence d’implication personnelle et permanente dans le débat public des leaders, avant un dialogue formel de « réconciliation et de paix », profite aux apologistes de la violence qui croient confondre leurs options avec les attentes d’une population traumatisée. Rien d’étonnant que les unes après les autres, nos villes vont s’autodétruire par les actes de vandalisme de leurs habitants confondant justement « libération » (si libération il y a ?) avec « instauration du chaos administratif ».

Si le schéma actuel de notre Constitution est le meilleur, il faut que tous les acteurs se prononcent clairement là-dessus, pour que ces questions soient écartées des causes de notre guéguerre. Si le plus important pour eux est de régler le compte aux hommes, le pouvoir, alors nous avons compris pourquoi peu de voix s’élèvent pour dénoncer les terribles malheurs que cette logique fait subir à nos populations actuellement. Nous avons des partis fédéralistes qui n’ont pas présenté jusqu’ici leurs schémas de fédération, à part des brides de déclarations fracassantes pendant des périodes de crises et de tensions où la message peut passer même si les contours sont flous. Que pensent vraiment ceux qui se battent en ce moment ? Ces questions font-elles partie de leurs préoccupations ou c’est le « on verra le moment venu » habituel ? Et si c’était les Français ou d’autres parrains étrangers qui formulaient ces sujets, les acteurs tchadiens se mettront à s’agiter pour réagir comme dans une salle d’examen, pour être chacun le premier. Que voulons-nous faire de notre pays : un éternel recommencement ? Un mirage, une fiction ?

Enoch DJONDANG
enochdjo@yahoo.fr


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