A Abéché, une justice sans moyens a hérité de l’affaire de l’Arche de Zoé – Afp
Un procureur sans substitut, un palais de justice sans greffier, des procès sans avocats: à Abéché, principale ville de l’est tchadien, c’est une justice sans moyens qui a hérité fin octobre de l’affaire de l’Arche de Zoé, avant d’en être dessaisi au profit de N’Djamena.
Le 25 octobre, six membres français de l’association française L’Arche de Zoé, accompagnés de trois journalistes étaient arrêtés à Abéché alors qu’ils tentaient d’emmener 103 enfants vers la France. Quelques heures plus tard, l’équipage espagnol d’un Boeing 757 affrété par l’association était à son tour interpellé.
« J’ai tout de suite senti que l’affaire était trop grosse pour un endroit comme le nôtre », assure le procureur d’Abéché, Ahmad Daoud Chari, dans son minuscule bureau aux murs défraîchis du Palais de justice, petit cube blanc de plain-pied aux arrêtes arrondies.
Il est assis derrière une simple table de bois où s’empilent quelques dossiers. Un unique ventilateur branlant brasse l’air chaud, sec et poussiéreux qui écrase la ville dès les premières heures de la matinée.
Pas d’ordinateur, pas de machine à écrire, pas de photocopie. Pas même de greffier, malade ce jour-là. Pas non plus de substitut: il a rejoint une des nombreuses rébellions ayant éclos dans l’est du pays ces trois dernières années et n’a pas été remplacé.
Alors, le procureur remplit lui-même, à la main, armé de papiers carbone, les documents administratifs et les actes de procédure. « Une grosse partie de mon temps est consacré à du travail administratif », explique ce petit homme maigre à la voix douce et au sourire permanent.
Devant son bureau, ils sont pourtant une bonne dizaine à attendre d’être reçus et les affaires qu’ils traitent sont loin d’être anodines.
« Nombre de cas qui nous sont soumis sont des crimes très graves: meurtres, assassinats, viols, enlèvements », explique le procureur.
Aucun avocat non plus à Abéché. Sauf à en faire venir un de N’Djamena, chacun assure sa propre défense. Seule la Chambre criminelle, qui vient de la capitale siéger plusieurs fois dans l’année, emmène avec elle des avocats.
La principale conséquence de ce manque de moyens matériels et humains, c’est « la lenteur de la justice », explique Ramadan Ahmat le représentant local de l’Association pour la promotion des Libertés fondamentales au Tchad (APLFT).
« Des gens sont incarcérés de longues années et se plaignent de ne pas être entendus », ajoute-t-il.
Les justiciables ont en outre une faible connaissance des procédures et préfèrent souvent se tourner vers la justice coutumière, d’où la mise en place par l’APLFT d’une « clinique juridique » qui prodigue conseils et aide.
Bilan: un système judiciaire défaillant dans une région où règne une certaine culture de la vendetta et de la justice personnelle.
En outre, par craintes de représailles, la population rechigne à porter plainte contre les puissants ou contre les militaires auteurs de nombreuses exactions, explique M. Ahmat.
Le procureur lui-même – qu’un observateur décrit comme un « homme honnête et courageux » – reçoit régulièrement des menaces pour sa détermination à briser l’impunité dont prétendre jouir les « intouchables », comme les appellent M. Ahmat: hauts responsables, militaires, policiers, notables…
« Je tire mon chapeau au procureur, c’est quelqu’un qui fait bien son travail, voire au-delà », en dépit de ses faibles moyens, souligne le représentant de l’APLFT.
Une récente affaire de disparition d’un professeur dans laquelle il a délivré des mandats d’arrêt contre des militaires et auditionné de hauts responsables locaux des forces de l’ordre lui avait ainsi valu des appels téléphoniques très menaçants.