Soudan: des enfants du Darfour pris en main par des maîtres islamiques – Afp
Sous la férule d’un cheikh soufi, ils sont cinq cents enfants venus du Darfour à écrire et réécrire les versets du Coran sur une planchette de bois, la « loha », calée sur les genoux.
Certains ont à peine cinq ans, d’autres sortent de l’adolescence, tous sont pris en charge, logés, nourris et éduqués à Ombadda, près de Khartoum, par une confrérie du courant Qadiriyya, la plus ancienne du Soudan.
« Français? Ceux qui volaient nos enfants voulaient en faire des chrétiens? » Le maître d’école, le « fki » Abdel Rahman al-Rifaï, livre au journaliste de l’AFP ses soupçons sur l’affaire de l’association française Arche de Zoé.
C’est ainsi que le président Omar al-Béchir, dont le régime est né d’un coup d’Etat militaro-islamiste, a présenté la tentative avortée, fin octobre, de transfert de 103 enfants du Tchad vers la France par ce groupe.
Victimes d’une guerre civile qui a éclaté en 2003, les ethnies noires du Darfour, à l’ouest du pays, sont musulmanes tout comme leurs adversaires, les Janjawid, des miliciens arabes supplétifs du pouvoir.
« Tout est ravagé là-bas, on ne peut plus y vivre et étudier », lâche Abdelwahid, qui dit avoir 13 ans, et venir de Kungara, au nord du Darfour, où l’ONU a dénombré 200.000 morts, et plus de 2 millions de déracinés.
Guère enclin à laisser interroger les élèves, le cheikh al-Rifaï, un jeune religieux barbu de 31 ans, enchaîne : « Vous voyez bien que leur visage est triste, laissez-les, ils portent un lot de malheurs derrière eux ».
Comment sont-ils devenus des pensionnaires de l’ordre soufi de Saïd Dima? « Nous sommes les plus réputés pour notre enseignement islamique, ils n’ont rien à payer, c’est nous qui les payons », se borne-t-il à répondre.
Pour tous ces enfants, rassemblés dans la khalwa, l’école coranique, à l’ombre de la mosquée, un seul programme : lire, écrire et réciter en arabe le Coran et les enseignements du Prophète.
Sous la dictée du maître, dès l’aube, ils se servent d’un stylet en roseau pour écrire à l’encre noire mêlée de gomme arabique quelques versets du Coran, parfois une sourate entière, sur leur planchette en acacia.
A tour de rôle, ils vont montrer la loha calligraphiée au maître, assis lui aussi sur le sol sableux, adossé à un poteau. Sans un mot, il biffe ici un caractère, ou place ailleurs un signe de vocalisation.
Le reste du jour se passe, pour ces élèves qui s’isolent ou se regroupent pour apprendre le texte corrigé, le corps en balancement, et les lèvres en murmures. Quand le texte est appris par coeur, la loha est effacée à l’eau.
« Pour mémoriser toutes les sourates du Coran, il leur faudra quatre ans », dit le cheikh al-Rifaï. Et après? « Ils seront de bons musulmans! » Certains s’en tiendront là, d’autres rejoindront des écoles publiques.
Ce sont les confréries soufies, les « tariqas », qui ont propagé depuis plus de mille ans l’islam dans le Nord du pays et d’Est en Ouest, avec une interprétation populaire rejetée par les courants orthodoxes ou islamistes.
Au sud du pays le plus vaste d’Afrique, les tribus se sont converties au christianisme, en particulier sous la domination britannique qui s’est achevée au milieu du XXe siècle, ou sont restées fidèles à des croyances animistes.
Le cheikh al-Rifaï ne se fait pas prier pour admettre que le prosélytisme musulman, virulent avec l’arrivée au pouvoir des islamistes, n’est pas fini : « trente fidèles de la confrérie ont été envoyés pour cela vers le Sud », dit-il.
Présente au Soudan depuis le XVIe siècle, la Qadariyya, fondée au XIIe siècle par le bagdadi Abdel Kader al-Yilani, est jugée actuellement proche du régime, au contraire de la confrérie Khatmiyya ou du mouvement Mahdhiyya, fer de lance au XIXe siècle de la lutte contre les Britanniques.